Janvier 1904: la révolte des Hereros contre le colonialisme allemand
En août dernier, des crânes humains datant du début du XXe siècle étaient remis par l’Allemagne aux autorités namibiennes. Appartenant à des membres des peuples herero et nama, ils avaient alors été envoyés sur le vieux continent pour prouver scientifiquement la supériorité des Germaniques sur les non-Blancs. Un reliquat du passé colonial relativement méconnu de l’Allemagne.
On a en effet tendance à l’oublier: historiquement l’expansionnisme allemand contemporain ne se réduit pas aux velléités nazies des années 1930 et 1940. Au cours du dernier quart du XIXe siècle, l’Allemagne intègre le concert des nations colonisatrices en s’appropriant notamment des territoires dans le Sud-Ouest africain. C’est là, dans l’actuelle Namibie, que se déroule l’un des premiers crimes de masse d’un XXe siècle naissant.
«Sous protection» du Reich depuis 1884, ces territoires ont rapidement été constitués en colonies de peuplement. Ils sont voués à recevoir une importante émigration allemande dans les décennies suivantes. Pour ce faire, les colons ont exproprié les populations natives et accaparé d’immenses domaines terriens. Le 12 janvier 1904, mené par son leader Samuel Maharero, le peuple herero se soulève contre l’occupant au cours d’une révolte qui fait plus d’une centaine de morts parmi les Allemands. Alors que l’empereur Guillaume II à Berlin privilégie un temps la solution politique, il décide finalement de faire intervenir le général Lothar von Trotha, vétéran de la guerre des Boxers et célèbre pour ses nombreuses exactions commises sur la population chinoise.
Le 11 août de la même année, von Trotha et 1500 de ses hommes attaquent les Hereros au cours de la bataille de Waterberg, du nom du plateau où se sont regroupés les partisans de Maharero. Après leur victoire, les troupes du Reich pourchassent plusieurs jours durant les convois de femmes et d’enfants qui fuient les affrontements avec leurs troupeaux en s’enfonçant dans le désert du Kalahari. Beaucoup de ceux qui parviennent à leur échapper succombent par la suite, le plus souvent par manque d’eau et de nourriture.
A peine deux mois plus tard, un ordre d’extermination est émis par von Trotha, qui ordonne aux soldats d’abattre «tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail». Ceux-ci ne sont désormais plus considérés comme sujets allemands et ont pour obligation de quitter le territoire sous peine d’être tués. Quelques mois plus tard, l’ordre de von Trotha est levé par Berlin et il est décidé de parquer dans des camps de concentration les populations hereros. Les conditions de vie inhumaines qui y règnent font des milliers de nouvelles victimes.
Trois ans plus tard, plus de 60’000 Hereros, soit près de 80% de leur communauté, ont été tués par les troupes du Reich. A cela s’ajoutent les 20’000 représentants des Namas qui se sont joints à la rébellion anticoloniale. L’ampleur des massacres est telle qu’elle a conduit plusieurs historiens à parler de premier génocide du XXe siècle.
L’entreprise coloniale qui accompagne la montée en puissance de l’Allemagne au cours des dernières décennies du «long XIXe siècle» fait pourtant long feu. La défaite de 1918 et le Traité de Versailles voient en effet ses colonies être mises sous tutelle de la Société des Nations. Ces quelques dizaines d’années d’expériences coloniales n’en laissent pas moins une trace sanglante sur les territoires où elles se sont déployées. Sans oublier qu’elles marquent durablement l’imaginaire des nationalistes allemands du début du XXe siècle, et ce notamment à travers la glorification des techniques de guerre criminelles. D’aucuns y voient même la matrice des atrocités qui seront commises quarante ans plus tard par les mêmes armées à l’est du continent européen.
En 2004, à l’occasion du centenaire des massacres, des voix se sont élevées dans l’opinion publique allemande pour réclamer l’indemnisation des victimes, sans grand succès. Ce qui n’empêche pas le gouvernement fédéral de verser plusieurs centaines de millions de dollars à la Namibie depuis les années 1980 à titre de l’aide au développement. C’est que les vestiges de l’époque coloniale sont toujours présents: de nos jours près de 20 000 germanophones vivent ainsi parmi les 2 millions d’habitants que comptent la Namibie.
L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation par l’organisation de conférences et la valorisation d’archives graphiques, info@atelier-hem.org