Modèle social en danger
On a coutume de dénigrer notre voisin français, chez qui tout irait mal. Le moindre mouvement de grève, comme celui, massif, débuté jeudi dernier pour défendre le système des retraites, viendrait accréditer l’idée d’une certaine incurie collective. Et si la réalité était autre? Un chiffre: un retraité français sur treize vit sous le seuil de pauvreté. La moyenne européenne dépasse un sur sept. En Suisse, c’est un sur six.
Evidemment, le rituel d’un pouvoir autoritaire et d’une rue contestataire a de quoi agacer. Mais si la France connaît encore aujourd’hui des retraites justes et solidaires, elle le doit aussi aux combats syndicaux. Les conquêtes de la gauche politique de 36, 45 ou 81 auraient été de peu de poids sans la pugnacité du mouvement social.
Et ce n’est pas un hasard si les institutions les plus solides du dispositif social français – l’assurance-chômage, les retraites et la Sécu – reposent sur des accords tripartites entre Etat, travailleurs et patronat. Une base robuste, peu sensible aux conjonctures économique ou partisane. Bien plus difficile à modifier au profit des possédants que les lois fiscales ou du travail, déjà passées à la moulinette des députés La République en Marche.
On comprend dès lors pourquoi, avec sa subtile réforme des retraites, Emmanuel Macron cherche, sous couvert d’égalité entre les salariés, à étatiser ces caisses et à les fondre dans un système unique. Le gouvernement aurait de cette façon la haute main sur les rémunérations et les cotisations des salariés. On comprend donc également la réticence des organisations syndicales, bien loin de défendre les «privilèges» d’une minorité, à accepter le marché de dupes de la retraite «à points».
Au-delà du recul (bien réel) de l’âge de la retraite et des pertes pour les salariés les plus fragiles et les plus précaires (notre article du 2 décembre), le plan Delevoye est symptomatique de la méthode Macron de démantèlement social. En brisant la logique d’assurance solidaire pour imposer un système d’assistance publique, le modèle proposé sape les droits acquis et prépare l’arrivée des fonds privés d’assurance appelés à compenser les pertes ainsi orchestrées. Que l’inspirateur de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, travaille en douce pour les assureurs, comme révélé lundi par Le Parisien, ne surprendra personne.
Avec cette réforme et celles similaires menées contre les chômeurs et l’assurance-maladie, le président français joue gros. Il sait que l’ajustement structurel qu’il impose à son pays ne pourra se concrétiser qu’après le renversement de ces trois fortins syndicaux. Trois piliers d’une république sociale dont l’avenir se joue actuellement dans la rue et les entreprises du pays.