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L’issue du procès sur le référendum marque les limites pour l’indépendantisme catalan

Sur les questions identitaires, l’Espagne «semble condamnée à faire face aux mêmes défis politiques». L’issue du procès contre les leaders indépendantistes n’annonce aucun changement dans les rapports de force actuels en Catalogne, selon Mathieu Crettenand. Analyse.
Espagne

Le verdict du «procès du siècle» en Espagne est tombé comme un couperet pour les douze dirigeants catalans accusés d’avoir mené une tentative de sécession en octobre 2017. Les magistrats ont suivi à l’unanimité l’avis du parquet condamnant les leaders indépendantistes à de lourdes peines pour des délits de sédition et de malversation financière. Cette décision de justice marque les limites à ne pas franchir pour l’indépendantisme catalan.

Ce procès a constitué l’épilogue de l’organisation du référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Il a démontré de manière explicite et très détaillée la difficulté des autorités espagnoles à mener des discussions institutionnelles sur la question de l’autodétermination des régions. Si durant le procès, le juge Manuel Marchena Gómez s’est efforcé de garantir un équilibre entre les droits de l’accusation et ceux de la défense, il s’est montré, par contre, très strict avec les témoignages qui visaient à revenir à l’essence politique du procès sur le droit à l’autodétermination.

Pourtant, force est de constater la nature politique du verdict contre les dirigeants indépendantistes. La «bulle juridique» que représentait la scène du Tribunal suprême ne doit pas faire oublier la singularité de la culture politique sur ces questions en Espagne. Le paradoxe veut que la monarchie espagnole reconnaisse dans sa constitution l’existence de «nationalités historiques» tout en niant leur droit à l’autodétermination. Les gouvernements espagnols successifs se sont opposés à la mise en place de schémas de consultation permettant aux citoyens basques et catalans de décider de leur avenir politique. Ces interdictions légales amènent de nombreuses tensions identitaires et politiques.

Historiquement, le gouvernement espagnol, dans sa lutte contre les séparatismes, s’est évertué à délégitimer le conflit des Basques pour l’autodétermination en vertu de la lutte contre le terrorisme. Le Pays Basque a, ainsi, constitué une sorte de laboratoire répressif, au niveau policier et judiciaire, dont les nationalistes catalans font actuellement l’expérience. Au début des années 2000, il faut se rappeler que plusieurs organisations politiques et sociales ainsi que certains médias basques ont été accusés et régulièrement condamnés pour des liens avec l’ETA.

Force est de constater que, malgré l’absence de violence, la suspension de l’autonomie de la Catalogne par le gouvernement, conformément à l’article 155 de la constitution espagnole, et le verdict du procès contre les dirigeants indépendantistes catalans ne sont qu’un exemple supplémentaire de la judiciarisation de la politique dans le pays. Cet élan criminalisant est renforcé dans l’arène médiatique dans laquelle s’opposent les différents agents politiques et sociaux. D’une manière générale en Espagne, sur les questions identitaires, la presse a plutôt tendance à jeter de l’huile sur le feu. Placer les dirigeants en prison et organiser des procès contribuent à la «criminalisation» de ces mouvements aux yeux de l’opinion publique. Les médias accentuent cette perception.

En Espagne, ce qui surprend, ce n’est pas tant la ferveur indépendantiste en Catalogne ou au Pays Basque, mais bien le manque de pragmatisme du gouvernement espagnol face au défi séparatiste. Sceptique par rapport au développement du modèle fédéraliste, le pouvoir central s’arrime fermement à la Constitution comme unique formule pour maintenir unies les identités nationales composant l’Espagne. L’argument est identique lors de chaque nouvel emballement nationaliste: le risque de morcellement de l’Espagne. S’ensuit une stérilité du débat politico-médiatique sur cette question, opposant des rhétoriques déjà amplement connues.

Ainsi, sur les questions identitaires, l’Espagne a beaucoup de mal à mener des débats institutionnels, ouverts et pacifiques. Même si le juge Marchena a tenté désespérément de limiter la portée politique du procès, cette frayeur démocratique donne un sens au verdict du Tribunal suprême. Pourtant, d’autres perspectives politiques telles que l’approche britannique avec les questions écossaise ou irlandaise, ou encore le Brexit montrent différentes manières dont les Etats peuvent gérer les demandes souverainistes. Le verdict et la fin du processus judiciaire n’annonçant aucun changement dans les rapports de force politiques actuels en Catalogne, l’Espagne semble condamnée à faire face aux mêmes défis politiques. Les jours qui suivent permettront de voir les réponses qui leur seront donnés, avec une inconnue sur la réponse du gouvernement espagnol face aux manifestations massives en Catalogne et la répétition des élections législatives, le 10 novembre prochain.

Docteur en sciences de la communication et de l’information, Mathieu Crettenand a été membre de la délégation d’observateurs internationaux du procès contre les dirigeants indépendantistes, organisée par International Trial Watch.

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