Chroniques

Polyphonie électorale

Transitions

Qu’y a-t-il de commun entre les élections fédérales et la manifestation du 28 septembre à Berne? Entre les élections fédérales et Greta Thunberg? Tout et rien: un mot-clé, un mantra: le climat. Paraphrasant le général de Gaulle, on pourrait «bien entendu sauter sur sa chaise comme un cabri» en disant climat, climat, climat! Mais, ajoutait-il (à propos de l’Europe) «cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités». Or les réalités semblent se diluer dans la cacophonie électorale.

On ne peut qu’être frappé par le saisissant contraste entre la platitude des slogans de campagne et la radicalité des jeunes grévistes du climat. A Berne, un peu perdue dans la foule, j’ai d’abord défilé par mégarde sous la bannière des Verts libéraux, avant de rejoindre les impertinents d’Extinction Rébellion, puis la tonitruante équipe des anticapitalistes. Les électeurs feront-ils le même parcours? En auront-ils le choix? «A ceux qui veulent dominer le monde, le monde répond RÉ-SIS-TANCE!» Après avoir scandé, hurlé, dansé l’appel à la révolution, le cortège a passé son chemin, laissant ces grands mots se perdre sur le bord des trottoirs.

Quant à Greta Thunberg, elle semble naviguer dans une autre dimension. Quand je l’ai entendue à la tribune de l’ONU, en larmes, le visage grimaçant de rage ou de terreur, lancer à la tête des chefs du monde: «Vous avez volé mon enfance, vous avez volé mes rêves, honte à vous!», j’aurais eu envie de la retenir: «Non! Greta! Pas comme ça. Il faut séduire, pas accuser. Il faut un message d’amour, pas de haine». C’est parce que je suis comme tout le monde, comme celles et ceux qui ne veulent pas l’entendre parce qu’elle est cette douleur lancinante qui inquiète mais qu’on ne soigne pas en se disant qu’elle va passer; parce qu’elle est cette imprécatrice impitoyable alors qu’on implore pitié ou pardon face à la tempête qui se prépare; parce qu’elle semble incarner l’implacable supplication de la planète elle-même et que nous avons peur. Ni son nom, ni son histoire, ni ses mots, ni même son âge n’expliquent la puissance de sa voix. Elle ne dit rien, sinon qu’il faut écouter les scientifiques. Elle ne détient ni théorie, ni analyse, ni solutions et ne donne de leçons à personne. Elle est tout entière dans son existentielle protestation.

Face aux enjeux climatiques et sociaux, la politique institutionnelle orchestre une campagne qui semble bien dérisoire, malgré la remarquable et abondante cohorte des candidat-e-s. Tous sur le même registre, sans réelles dissonances, les slogans constituent un récit sans substance, un joyeux fouillis qu’on peut s’amuser à recomposer: votre voix pour avancer, tous ensemble, sans privilèges, vers la sécurité de notre climat, en remettant la politique sur les bons rails avec les créateurs d’avenir, engagés, humanistes et solidaires, simplement populaires, pour la liberté, pour l’égalité maintenant et pour vivre mieux. Sur les réseaux sociaux, ça manque tout autant de profondeur. Quant aux débats radio ou TV, ils semblent offrir aux journalistes l’occasion d’une revanche sur les élus à qui ils sont habituellement contraints de donner la parole avec déférence! On dirait qu’ils prennent plaisir à piéger les candidats dans des situations périlleuses ou inconfortables comme un pique-nique sur une montagne dans le brouillard et la pluie, où l’on papote de tout et de rien…

Combien en ai-je fait de ces campagnes? Toujours avec le même élan, la même fougue, la même conviction, exactement comme mes candidat-e-s préféré-e-s aujourd’hui. Le boulot de parlementaire, je l’ai fait aussi, pendant des années. Je ne vais donc pas cracher dans la soupe! Nos campagnes d’autrefois n’étaient ni meilleures ni pires que celles d’aujourd’hui. On a tous essayé, une fois ou l’autre, de faire «autrement», mais sans grand succès. C’est ainsi: les élections sont un passage obligé, entre engagement critique et séduction, l’antichambre initiatique de la démocratie.

De tout cela, je retiens que l’essentiel est dans ce qu’on appelle la convergence des luttes. La politique doit être partout, dans la rue et dans les parlements, pour autant que les acteurs soient interchangeables. Nos adversaires ne sont pas ceux qui hurlent dans la rue leur impérieux désir de démolir le système. Ce sont les affairistes qui s’en prennent grossièrement à la figure de Greta: leur rage obscène contre cette «gamine» est le révélateur de leur obsession compulsive à protéger leurs profits, réduisant en miettes nos espoirs et même nos si gentils slogans de la campagne.

Notre chroniqueuse est une ancienne conseillère nationale.

Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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