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Washington contre Pékin

La Chine, dont le produit intérieur brut a été multiplié par neuf en dix-sept ans, est désormais l’adversaire prioritaire des Etats-Unis. Eclairage.
Économie

Les Etats-Unis semblent désormais estimer qu’ils ne peuvent pas affronter la Chine et la Russie à la fois. Dans les décennies qui viennent, leur principal rival géopolitique sera Pékin. Sur ce sujet, un consensus existe même entre l’administration républicaine de M. Donald Trump et les démocrates, que l’élection présidentielle de l’année prochaine oppose pourtant avec vigueur. La Chine succède ainsi à l’«empire du Mal» soviétique et au «terrorisme islamique» comme adversaire prioritaire de Washington. Mais, à la différence de l’Union soviétique, elle dispose d’une économie dynamique, avec laquelle les Etats-Unis enregistrent un déficit commercial abyssal. Et sa puissance est singulièrement plus impressionnante que celle de quelques dizaines de milliers de combattants intégristes errant entre les déserts de l’ancienne Mésopotamie et les montagnes d’Afghanistan.

M. Barack Obama avait déjà entrepris un «pivot vers l’Asie» et le Pacifique de la diplomatie américaine. Comme souvent, son successeur formule cette nouvelle stratégie avec moins d’élégance et de subtilité1>Lire Philip S. Golub, «Entre les Etats-Unis et la Chine, une guerre moins commerciale que géopolitique», Le Monde diplomatique, octobre 2019, bit.ly/2lGuuMo. Puisque, dans son esprit, la coopération est toujours un piège, un jeu à somme nulle, l’essor économique du rival asiatique menace automatiquement le développement des Etats-Unis. Et réciproquement: «On est en train de gagner contre la Chine, a plastronné M.°Trump en août dernier. Ils viennent de connaître leur plus mauvaise année depuis un demi-siècle, et c’est à cause de moi. Je n’en suis pas fier.»

«Pas fier», cela ne lui ressemble guère… Il y a un peu plus d’un an, il avait autorisé les caméras à diffuser en direct une réunion de son cabinet. Et tout y était passé: un de ses ministres s’était félicité du ralentissement de la croissance en Chine; un autre avait imputé aux exportations chinoises de fentanyl l’épidémie d’opioïdes aux Etats-Unis; un troisième avait attribué les difficultés des agriculteurs américains aux mesures de rétorsion commerciale de la Chine. Il ne restait plus alors à M. Trump qu’à expliquer la récalcitrance nucléaire nord-coréenne par la mansuétude de Pékin envers son allié.

Pour Washington, vendre un peu plus de maïs ou d’électronique à la Chine ne suffira donc plus. Il lui faut isoler ce rival dont le produit intérieur brut a été multiplié par neuf en dix-sept ans, l’affaiblir, l’empêcher d’étendre son influence, et surtout de devenir l’égal stratégique des Etats-Unis. Sa prospérité fulgurante ne l’ayant pas conduit à s’américaniser, à se montrer docile, les coups ne lui seront pas ménagés.

Le 4 octobre 2018, le vice-président américain, Mike Pence, pourfendait déjà dans un discours d’une extrême violence un «système orwellien», des «autorités qui détruisent des croix, brûlent des bibles et emprisonnent les croyants», la «coercition des entreprises, studios de cinéma, universités, think tanks, chercheurs, journalistes américains». Il détectait même alors des «tentatives pour influencer l’élection présidentielle de 2020». Après le «Russiagate», un «Chinagate» qui, cette fois, aurait pour objectif la défaite de M. Trump? Les Etats-Unis sont décidément un pays bien fragile…

Notes[+]

Article paru dans Le Monde diplomatique d’octobre 2019.

Opinions Agora Serge Halimi Économie

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