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Un pouvoir qui tourne le dos à son peuple

Après les fiascos d’avril et juillet 2019, le pouvoir algérien a fixé la date d’une nouvelle élection présidentielle au 12 décembre prochain. Les Algériens, dans la rue depuis plus de sept mois, la rejettent. Eclairage.
Algérie

Depuis le 22 février 2019, l’Algérie vit un mouvement d’émancipation et de libération à travers une mobilisation dans la rue contre ce qu’elle a considéré comme étant l’humiliation de trop, soit la candidature à un cinquième mandat de l’homme qui dirigeait le pays depuis vingt ans, Abdelaziz Bouteflika, et qui en réalité, au su du monde entier, était dans l’incapacité physique et mentale de le faire depuis son AVC en 2013. Ce qui n’avait pas empêché le régime algérien de le reconduire pour un quatrième mandat.

Le peuple algérien, avec une mobilisation jamais vue depuis son accession à l’indépendance en 1962, prend son destin en main. Un mouvement populaire d’une ampleur inimaginable (environ 20 millions de manifestants dans toutes les villes du pays, selon les observateurs), armé d’un civisme exemplaire, a réussi à faire chuter début avril 2019 un président inapte à exercer ses fonctions.

L’état-major militaire, avec à sa tête le général Ahmed Gaïd Salah (placé en 2004 par ce même président aujourd’hui déchu), a soutenu la violation de la constitution en 2008 pour permettre à Bouteflika de briguer un troisième mandat. Il a adoubé le quatrième mandat en 2014 et même voulu imposer un cinquième mandat début 2019, objet du ras-le-bol populaire. L’histoire retiendra qu’il aura fallu un mois et demi de révolte pour que le commandement militaire décide de sacrifier le président malade et de se délester de certains dignitaires du pouvoir, afin de garantir sa propre survie. En effet, l’état-major de l’armée n’est pas prêt à rendre le pouvoir aux civils ni à accepter de se soumettre à l’autorité d’un président civil élu au suffrage universel.

Le peuple révolté exige plus que cette pseudo purge. Il maintient la pression avec des mobilisations estudiantines tous les mardis et de grandes manifestations populaires les vendredis qui embrasent l’ensemble du pays. La population exige un changement de régime et l’avènement d’une vraie démocratie. Le régime, lui, impose un président intérimaire malade (encore un autre), Abdelkader Bensalah, véritable apparatchik du système. Ce dernier, avec un gouvernement composé d’anciens ministres, a comme mandat d’organiser de nouvelles élections présidentielles le 4 juillet 2019, selon les délais constitutionnels.

Ce printemps, le régime comptait sur un essoufflement du mouvement en misant sur le Ramadan et l’été – avec des chaleurs atteignant jusqu’à 50°C – mais la détermination des manifestants a faussé les calculs, et fait échouer la tenue des élections en juillet. Aucun candidat n’a postulé et, de facto, ces dernières n’ont pas eu lieu. Cela fait maintenant plus de sept mois que le peuple manifeste avec pacifisme, courage et abnégation dans l’indifférence des pays dits démocratiques. Le clan de l’état-major a choisi la voie répressive et emprisonne des citoyen-ne-s arrêté-e-s lors des marches, kidnappe des leaders politiques d’opposition et les écroue sous des accusations farfelues.

Aujourd’hui, un quasi état de siège est instauré dans la capitale. Les citoyen-ne-s qui viennent des autres villes pour manifester sont menacé-e-s d’amende ou de saisie de leur véhicule, en violation totale de la constitution algérienne et des conventions onusiennes des droits de l’homme. La société civile dénonce des arrestations arbitraires, elle s’indigne de la mise en détention de militants pacifiques, poursuivis pour leur opinion et leur engagement en faveur d’un gouvernement civil.

Le peu d’intérêt que nos médias accordent à la situation explosive en Algérie est regrettable, d’autant plus depuis les derniers évènements, qui augurent d’une escalade de tensions après l’annonce par le président par intérim de la date du 12 décembre pour la tenue de l’élection présidentielle, toujours rejetée par le peuple.

Les Algérien-ne-s attendent une réforme complète de l’appareil administratif, la mise en place d’un système de validation des élections avec des instances indépendantes ainsi que la réforme des médias publics afin d’assurer un accès équitable à tous les candidats pendant la campagne électorale. Le peuple aspire à un Etat de droit, à l’indépendance effective de la justice, à la protection des libertés individuelles et collectives, à une vraie démocratie.
Le peuple algérien souhaite que son message parvienne au plus grand nombre. Se taire dans ces moments historiques, c’est se rendre complice d’un régime militaire abject qui s’enrichit au détriment de 42 millions d’Algérien-ne-s.

* Algérien de Genève, sous pseudonyme.

Opinions Agora Mounir Amokrane Algérie

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