Chroniques

La médecine: un modèle pour l’éducation?

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

On assiste actuellement dans le domaine de l’éducation à un mouvement qui cherche à prendre modèle sur la médecine par les preuves pour fonder une «éducation par les preuves». Cette éducation par les preuves est-elle réellement conforme à son modèle?

L’éducation par les preuves et la question du consentement

Il faut remarquer que les partisans de la médecine par les preuves mettent en avant le fait que l’enseignant comme le médecin devraient s’appuyer désormais sur des données probantes tirées de la compilation de méta-analyses. Au Canada, ce courant est en particulier incarné par Steve Bissonnette et Clermont Gauthier. En France, le courant de l’éducation par les preuves a aujourd’hui un soutien ministériel à travers le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN).

Néanmoins, force est de remarquer que les tenants de l’éducation par les preuves ne prennent pas en compte les obligations éthiques qui incombent au médecin. Aujourd’hui, la médecine n’est plus uniquement basée sur le principe de bienfaisance qui donnait tout pouvoir au médecin, au nom du «bien du patient», de décider du traitement. On évoque une remise en cause du «paternalisme médical». Auquel a succédé le modèle de l’autonomie qui doit rechercher le consentement libre et éclairé du patient.

Concernant les mineurs, leur consentement éclairé est requis autant que possible, même si intervient également celui de leurs représentants légaux. Ceux-ci doivent être informés des traitements, de leurs alternatives et des conséquences de chaque traitement. Les patients peuvent aller jusqu’à refuser les soins, même si le médecin doit tenter de convaincre du bien-fondé des propositions médicales.

En soi, le «savoir-pouvoir» du médecin ne saurait s’appliquer de manière illimitée: il est, dans une démocratie libérale, mis en balance avec l’autonomie du sujet et son consentement. Or cette dimension n’est pas du tout prise en compte par les tenants de l’éducation par les preuves. On voit donc que c’est sous une forme extrêmement paternaliste qu’est appliquée dans le domaine de l’éducation l’idée d’une médecine par les preuves, portée en réalité par une conception du pouvoir du médecin qui n’a plus cours aujourd’hui dans les textes régissant le droit de la santé.

Une réification du sujet

Un des aspects qui fait débat, y compris dans le domaine de la médecine, est la réification du sujet qu’implique la médecine par les preuves. Au point que l’on voit surgir pour compléter cette démarche d’autres approches telles que la médecine narrative ou «médecine basée sur la narration», qui tente de redonner davantage de place au patient en tant que sujet.

Là également, on ne perçoit pas chez les défenseurs de l’éducation par les preuves de réflexion sur les risques de réification de l’élève à partir des méthodes d’apprentissage qui lui seraient imposées. Quelle place peut être donnée à l’élève en tant que sujet, et à sa subjectivité, dans le processus d’apprentissage? L’éducation par les preuves tend à se limiter à une appréhension de l’élève uniquement comme objet de savoir.

Intégrité de la personne et spécialisation du savoir

Une des difficultés à laquelle se trouve confrontée la médecine par les preuves tient à la spécialisation médicale. Or l’éthique médicale doit également tenir compte du principe d’intégrité de la personne, également présent dans les textes de bioéthique. Cela signifie qu’en théorie le spécialiste d’un domaine doit être capable, pour effectuer un choix de traitement médical, de prendre en compte l’incidence de ce traitement non pas seulement sur les organes dont il est spécialiste, mais également sur l’ensemble de la personne du sujet, à la fois sur les plans physique et psychologique.

Là encore, on ne trouve aucune réflexion de ce genre chez les tenants de l’éducation par les preuves. L’enfant comme personne, ayant à la fois corps et esprit, n’y fait pas l’objet d’une réflexion et l’on se contente de connaissances très sectorisées portant par exemple sur les méthodes d’apprentissage de la lecture.

Le pouvoir des images

On trouve également, chez certains tenants de l’éducation par les preuves issus des neurosciences, une croyance en la toute puissance de l’image IRM. Or l’observation du fonctionnement de la médecine dans son activité concrète peut nous conduire à mettre à distance l’idée que l’IRM serait une copie exacte de la réalité. Ces images impliquent une interprétation qui laisse part à une marge d’incertitude. De ce fait, il peut y avoir un écart entre l’image et la réalité charnelle du corps du patient comme elle peut être observée par exemple lors d’une intervention chirurgicale.

Et encore une fois, les neurosciences appliquées à l’éducation ne mènent que peu de réflexion sur l’écart qu’il pourrait exister entre le fonctionnement du cerveau de l’enfant tel qu’il apparaît dans les IRM et la réalité du fonctionnement du cerveau qui ne peut pas être observé directement dans la salle de classe.

Notre chroniqueuse est enseignante en philosophie et chercheuse en sociologie, présidente de l’IRESMO, Paris, iresmo.jimdo.com.
Publications récentes: Bréviaire des enseignant-e-s – Science, éthique et pratique professionnelle, Editions du Croquant, 2018, et Philosophie critique en éducation, Didac-philo, 2018.

Opinions Chroniques Irène Pereira

Chronique liée

Connexion