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L’expérience Hemberg

Pour comprendre comment la croissance des villes influence leur gestion de l’énergie, une équipe a commencé par décortiquer une petite ­commune saint-galloise: Hemberg, 920 habitants.
Environnement

Les villes vont énormément croître ces prochaines années et sont appelées à jouer un rôle crucial dans la transition vers les énergies vertes. La forme prise par leur développement a un impact sur tout leur système énergétique, à savoir l’intégration des énergies renouvelables, l’efficacité thermique des bâtiments, ou encore la consommation d’énergie. C’est ce que montre une étude menée par Nahid Mohajeri au Laboratoire d’énergie solaire et physique du bâtiment de l’EPFL. Dans une première étape, elle a comparé l’impact de deux scénarios de croissance d’un village sur son système énergétique futur: soit la densification (notamment avec des constructions en hauteur), soit l’extension géographique dans les environs.

• Un village décortiqué. La particularité de cette recherche: elle s’est penchée sur un cas concret, la commune saint-galloise de Hemberg, 920 habitants. Les scientifiques ont mené de 2017 à 2018 une vaste collecte de statistiques et de données sur le terrain – chacun des 150 bâtiments du village a été examiné. «Nous avons utilisé des logiciels tels QGIS ou CitySim pour produire différents scénarios d’évolution du village d’ici à trente ans, explique la chercheuse, ancienne postdoctorante à l’EPFL, aujourd’hui à l’Université d’Oxford. Nous avons d’abord examiné l’évolution de la population et des bâtiments, puis celle de l’efficacité énergétique des bâtiments en lien avec le climat, et pour finir la production d’énergies durables en lien avec les coûts des technologies. Nous avons ensuite combiné ces résultats afin de calculer l’impact du type de forme urbaine sur tout le système énergétique. C’est une première, car les travaux jusqu’à présent avaient analysé les formes urbaines en lien avec un seul aspect du système énergétique.»

Les différentes simulations indiquent notamment qu’en 2050 Hemberg aura 1300 habitants et que son électricité et son chauffage proviendront à plus de 75% d’un mélange d’éolien et de photovoltaïque local. Le réchauffement climatique conduira à une hausse de 115% de la demande de refroidissement des habitations, tandis que le coût des technologies de l’énergie aura baissé de 50%.

Sans trop de surprise, la densification se révèle la meilleure solution. «La grande différence réside dans la consommation énergétique, nettement moindre que dans le scénario de l’extension, précise Nahid Mohajeri. Densifier une agglomération permet notamment de mieux conserver la chaleur dans les bâtiments. Par contre, le point faible est de laisser moins d’espace sur les toits pour le photovoltaïque. Chaque forme urbaine a ses avantages et ses inconvénients, qu’il faut mettre en balance pour trancher. D’ailleurs, dans certaines villes comportant des immeubles très hauts, l’effet d’ombre ou le peu d’espace pour des panneaux solaires feront pencher davantage vers une extension urbaine.»

 L’énergie avant le design. L’analyse est partagée par Christian Schaffner, directeur de l’Energy Science Center de l’ETH Zurich. Il estime cependant qu’il ne faudrait pas oublier les autres bénéfices de la densification, notamment en termes de mobilité ou d’une occupation réduite du sol. Et note que des panneaux photovoltaïques peuvent aussi être déplacés à l’extérieur de la ville, «voire dans les Alpes».

Pour Christian Schaffner, prendre en considération à la fois la question de l’extension d’une ville et les changements de son système énergétique a beaucoup de potentiel: «Cela peut clairement aider les responsables locaux dans leurs prises de décision. A l’heure actuelle, la question énergétique intervient souvent trop tard dans la planification urbaine: on pense d’abord au design des bâtiments, puis aux routes et, seulement en dernier, à l’énergie. Cela devrait être l’inverse.» Les solutions pour la transition énergétique viendront de perspectives multidisciplinaires, comme celle de l’étude sur Hemberg: «Il faut des psychologues, des sociologues, des économistes, des urbanistes et des architectes qui collaborent avec des ingénieurs. Car si les solutions techniques existent, leur implémentation reste complexe.»

En attendant, l’équipe de Nahid Mohajeri continue de développer son modèle de simulation. «Nous voulions prouver sa robustesse avec un petit village. Nous allons maintenant le tester sur des villes plus grandes.» Une tâche nettement plus ardue, car elle impliquera d’immenses jeux de données. Mais la chercheuse se montre confiante: «Je suis persuadée que cela aidera les villes à devenir plus vertes.»

*Paru dans Horizons n°122, septembre 2019, FNS, www.snf.ch/fr/

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