Neuchâtel

La capoeira, un souffle de révolte

Une série de conférences aborde l’héritage colonial et l’esclavagisme par le biais de cet art afro-brésilien. L’une de ses figures maîtres, João Oliveira dos Santos, est de passage à Neuchâtel. Rencontre.
Le passé esclavagiste dans le miroir de la capoeira
Le maître de capoeira, João Oliveira dos Santos, est de passage à Neuchâtel pour présenter cet art hérité des esclaves africains au Brésil. Damien Berney
Culture et éducation

Les graviers semblent chanter sous les pas de João Oliveira dos Santos dans les jardins de l’Hôtel DuPeyrou. Malgré une démarche boiteuse, cette légende de la capoeira respire l’élégance. Il faut dire que l’héritier de cet art venu du Brésil, avec son éternel béret blanc et son berimbau (instrument à une corde), est en décalage avec le restaurant gastronomique du bâtiment historique.

La présence du Brésilien de 87 ans dans la luxueuse bâtisse fait s’entrechoquer deux mondes. João Oliveira dos Santos est l’un des plus grands maîtres de capoeira, un art hérité des esclaves, qui mélange danse et combat. Alors que l’hôtel particulier a été érigé au 18ème siècle grâce à l’immense fortune de Pierre Alexandre DuPeyrou, propriétaire de plantations où régnait l’esclavage.

C’est à l’initiative de Zsazsa Demeter que le capoeriste est à Neuchâtel. Cette anthropologue hongroise découvre lors d’un échange que la ville était impliquée dans la traite négrière. «Je rêvais d’un événement qui fasse le parallèle entre ce mouvement de révolte des esclaves et le commerce triangulaire dans lequel des Neuchâtelois étaient impliqués.» Elle créé alors l’association LiberArt et monte son premier projet, «Capoeira Angola à Neuchâtel: rencontre avec un monde coloré.» Un événement qui propose jusqu’à vendredi ateliers et conférences en collaboration avec le Musée d’art et d’histoire, le Musée d’ethnographie et le jardin botanique.

La danse des Nagos

Zsazsa Demeter osait à peine rêver de la présence de João Oliveira dos Santos, celui que l’on appelle Mestre João Grande (le grand maître). «C’est une des figures les plus respectées de la capoeira Angola, le courant le plus traditionnel. Les gens font des milliers de kilomètres pour pratiquer avec lui», lance la jeune femme, enthousiaste.

«La capoeira est présente dans chacun de mes mouvements», scande le maître, comme s’il récitait un poème. C’est à l’âge de 10 ans, dans un village de l’État de Bahia qu’il découvre ce qui deviendra sa raison de vivre. «J’ai vu des paysans faire la figure de corta capim (ndlr : un mouvement de rotation des jambes). Je ne savais pas ce que c’était, mais j’ai tout de suite su que je voulais m’y mettre.» On lui explique qu’il s’agit de la danse des Nagos, les descendants yoruba. Ce n’est que des années plus tard, qu’il assiste à une roda: au centre d’un cercle de musiciens, deux hommes s’affrontent dans une série de mouvements et d’acrobaties. Il reconnaît la danse de son enfance et demande à y être initié.

Un outil de résistance

Sa passion lui fera faire tour du monde. Dans les années 90, il déposera ses valises à New York et ouvrira une académie, contribuant à démocratiser cet art aux États-Unis. Au-delà des exercices physiques et des acrobaties, la capoeira exprime une philosophie basée sur le refus de l’oppression.

A Neuchâtel, Mestre João Grande est accompagné de deux figures de renom, venus porter un message de tolérance. «La capoeira c’est résister à la suprématie de l’homme blanc, c’est inclure tous les âges, tous les genres et toutes les religions», explique Tatiana Brandão. Lorsqu’elle évoque la situation du Brésil, les larmes inondent son visage. «Depuis l’élection de Bolsonaro, des jeunes défavorisés sont exploités de manière horrible et assassinés, c’est le retour de l’esclavage.» Aux vues de l’actualité politique, les capoeiristes revendiquent leur art comme une nécessité. «Toutes les personnes opprimées doivent s’unir pour résister, comme ils l’ont fait par le passé», lance Henrique Anastacio de Jesus, comme une invitation.

 Sur les vestiges de l’esclavage

LiberArt propose des visites guidées qui documentent le passé colonial de la Ville de Neuchâtel en collaboration avec Cooperaxion (lire notre article du 20 mars 2018). Le tour présente les bâtiments emblématiques qui témoignent du succès de commerçants de la région impliqués dans la traite négrière, comme la Bibliothèque, l’Hôtel de ville, la Place Pury ou le Palais DuPeyrou. «Notre ONG souhaite remédier à l’amnésie coloniale et démocratiser les connaissances historiques», explique l’historienne Izabel Barros, de Cooperaxion. «La Suisse a longtemps ignoré son implication dans la traite négrière, mais les choses changent.» Depuis juin, la visite fait un crochet par l’espace Tilo Frey, à l’Université. Le lieu qui portait le nom de Louis Agassiz, le savant aux théories raciales controversées, a été rebaptisé en l’honneur de la première Neuchâteloise, une femme métisse, élue au Conseil national en 1971.

Information sur www.cooperaxion.org

Programme sur www.liberart.org

Régions Neuchâtel Julie Jeannet Culture et éducation

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