Suisse

Objectif zéro carbone en 2050

Le Conseil fédéral revoit ses ambitions à la hausse en matière de protection du climat.
Objectif zéro carbone en 2050
Grève du climat le 2 février 2019 à Lausanne. KEYSTONE
Climat

C’est une décision stratégique, mais elle est capitale, comme lorsque le Conseil fédéral, à majorité féminine, décidait en 2011 de tourner le dos à l’énergie nucléaire. Ce mercredi, le gouvernement a choisi de revoir à la hausse ses ambitions en matière de protection du climat. Et il s’est fixé comme objectif de réduire à zéro ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

La Suisse rejoint ainsi un club formé de pays tels que la France, le Royaume-Uni et la Suède, qui ont déterminé un objectif similaire. Elle rejoint aussi l’objectif fixé dans l’initiative populaire «pour les glaciers», qui a déjà presque atteint les 100’000 signatures requises.

Perceptible en Suisse

«Il y a nécessité d’agir et il faut aller vite», a soutenu ce mercredi devant les médias Simonetta Sommaruga. «On voit que les effets du réchauffement climatique sont arrivés jusqu’en Suisse.» Et la ministre de l’Environnement d’évoquer le fait que les mois de juin et de juillet ont été les plus chauds de l’histoire du pays.

Une autre raison de revoir les ambitions à la hausse, ce sont les conclusions du rapport du Groupe international d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ceux-ci ont démontré qu’il y aurait des bouleversements profonds à attendre à partir d’un réchauffement de 1,5 degré.

Jusqu’ici, en signant l’accord de Paris sur le climat, la Suisse s’était engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport à 1990. C’est l’objectif visé notamment dans la loi sur le CO2, en cours de révision au parlement.

D’ici à la fin de l’an prochain, le Conseil fédéral va adopter une Stratégie climatique 2050, où il s’agira de traduire cet objectif en mesures concrètes. Et comment y parvient-on? Là-dessus, Simonetta Sommaruga s’est montrée plus discrète. Mais les mesures toucheront tous les vecteurs de gaz à effet de serre: les transports, l’industrie, les bâtiments et l’agriculture.

«La gravité de la situation ne m’incite pas à pousser de cris de joie» Robert Cramer

Ces mesures devront être réalisées en priorité en Suisse, et non par l’achat de droits de polluer à l’étranger: «Il est beaucoup plus difficile et plus cher de réaliser ces réductions à l’étranger», a justifié Simonetta Sommaruga. «Et comme cela, c’est notre population et notre économie qui en profiteront», l’idée étant de stimuler par ce biais l’innovation.

Réactions assez… tièdes

Les réactions politiques à cette grande décision du Conseil fédéral sont plutôt tièdes. Ainsi, pour les Verts, c’est «insuffisant». Ils demandent de réaliser la neutralité carbone «plus rapidement». Robert Cramer explique: «Je suis enchanté que le Conseil fédéral revoie à la hausse ses ambitions, mais la gravité de la situation ne m’incite pas à pousser des cris de joie.» Pour le sénateur genevois, «ce n’est pas ainsi qu’on va sauver la planète. L’urgence implique qu’on prenne des mesures dès aujourd’hui.»

Leurs cousins vert’libéraux sont un peu plus optimistes, même si les deux partis écolos se rejoignent sur le constat: «Le mouvement est réjouissant, mais ce sont les mesures concrètes qui comptent», écrit le PVL dans son communiqué.

Pour Roger Nordmann, «c’est très bien de clarifier ainsi l’objectif visé, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres». Le chef du groupe socialiste attend de voir les mesures proposées et en profite pour faire de la publicité pour le «plan Marshall» présenté par son parti au début de l’été en faveur d’une transition énergétique.

«Il faudra mettre les gaz»

Côté libéral-radical, le nouvel objectif du Conseil fédéral rejoint celui fixé par le parti lors de son assemblée des délégués fin juin à Zurich. Le virage vert pris par ce dernier explique aussi sans doute celui des sept Sages. Cela n’empêche pas Jacques Bourgeois de faire la moue: «Il est tout à fait louable de se fixer des objectifs ambitieux, mais encore faut-il pouvoir les atteindre. Il va falloir mettre les gaz», ironise-t-il. Le Fribourgeois craint néanmoins que des mesures trop audacieuses ne portent atteinte à la compétitivité de notre économie.

Une crainte qu’à l’UDC on exprime plus clairement: «J’ai de la peine à comprendre la décision du Conseil fédéral», ne cache pas Pierre-André Page. Pour cet autre Fribourgeois, «cela aura des effets néfastes sur l’économie». Selon lui néanmoins, «on doit faire des efforts dans ce domaine. En tant que paysan, je milite pour une consommation de proximité, c’est ce qu’on peut faire de mieux».

Quoi qu’il en soit, la décision du Conseil fédéral devrait mettre la pression sur le Conseil des Etats, qui se penchera le mois prochain sur la révision de la loi sur le CO2. Au Conseil national en décembre dernier, cela s’est terminé en eau de boudin. Par trop atténué par des libéraux-radicaux alors très frileux, le projet avait été rejeté au vote d’ensemble. Mais l’affaire prend une meilleure tournure à la Chambre des cantons, qui a déjà revu en commission le projet du Conseil fédéral à la hausse, introduisant notamment une taxe sur les billets d’avion. LA LIBERTÉ

COMMENTAIRE

De grandes ambitions encore floues

Zéro carbone. Plus qu’un objectif, c’est un impératif à l’heure où les compteurs du réchauffement climatique n’en finissent plus de s’affoler entre canicules, incendies, températures record en juillet ou fonte sans précédent des glaces au Groenland. En affichant des objectifs ambitieux, la Suisse se hisse enfin à la hauteur de l’enjeu, comme une quinzaine de pays avant elle: rester sous les 2 °C de hausse des températures d’ici à 2100. Une trajectoire réaliste, à condition que la neutralité carbone s’impose d’ici à 2050, comme l’avaient martelé les experts de l’ONU sur l’évolution du climat (Giec) en octobre dernier.

Pour être dans les clous, la Suisse doit accélérer la transition vers une société propre qui va stimuler la créativité, l’innovation mais aussi l’effort collectif. A condition de miser sur les énergies renouvelables et de faire une croix sur le recours aux combustibles fossiles. Ce qui n’est pas gagné d’avance, à voir les grandes lignes du projet présenté ce mercredi. Une autre vieille habitude doit être abandonnée: l’achat de certificats d’émissions de CO2 qui permet de maquiller la comptabilité climatique. Ces «droits de polluer» entraînent un double comptage en Suisse et dans le pays cible.

Au moins, les annonces de Simonetta Sommaruga envoient un signal fort à un mois du Sommet Action Climat à New York et à une dizaine de jours de la session des Chambres fédérales qui doivent ficeler la révision de la loi sur le CO2, pièce maîtresse de la politique climatique suisse. Sans parler du fait que les objectifs de la Confédération pourraient court-circuiter l’Initiative pour les glaciers. THIERRY JACOLET

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