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En vacances, la dictature d’Instagram et de Facebook

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Ouf, nous voici de retour à la maison! Quel bonheur de se retrouver dans son environnement habituel et de ne plus se sentir obligé-e d’alimenter au quotidien notre page Facebook, notre compte Instagram avec les photos de rêve de nos vacances; de selfies nous montrant dans toutes les positions, sur fond de couchers de soleil. Quelle paix retrouvée. Car lorsque nous nous prélassions sur les plus belles plages de Bali, arpentions les pentes escarpées du Machu Picchu, quel boulot, quelle servitude, que d’avoir toujours présent à l’esprit le bon angle, la pose destinée à faire réagir pour générer un maximum de clics, de «likes», de commentaires!

Partir en vacances sans rien poster sur les réseaux sociaux? Vous n’y pensez pas! C’est comme si on n’était pas parti, ou pire, comme si nous avions déambulé dans des lieux pourris, qui ne méritaient même pas d’être pris en photo. Là, on a tout posté, montré à tous nos «amis» sur Facebook, nos «followers» sur Instagram, nos honorables correspondants sur WhatsApp que les vacances furent magnifiques, dans des lieux d’exception, que notre vie est merveilleuse. Et tant pis pour eux tous s’ils n’ont rien fait de leurs congés, voire rien fait de leur life.

On dirait qu’on ne voyage plus pour partir à la découverte d’autres cultures, de nouveaux horizons, mais pour le plaisir de montrer qu’on y était. Mieux: qu’on était là où cela se passe, à un endroit dont le nom recueille un nombre de hashtags faramineux. Même si, sur le cliché, on est seul au monde dans notre ego-trip. La foule compacte qui se presse au même moment sur les mêmes sites mis au goût du jour par les «influenceurs» les plus puissants de la planète est rarement sur la photo.

C’est que, désormais, il suffit d’un selfie d’une personne connue ou de ce qu’il est convenu d’appeler un «influenceur à fort potentiel» pour que des lieux jusque là totalement inconnus soient pris d’assaut par des milliers de touristes. Lesquels chercheront à reproduire à tout prix la «photo parfaite» découverte sur Instagram. C’est ce qui s’est passé récemment dans une petite ville en Californie parfaitement ignorée jusqu’alors, laquelle a été subitement prise d’assaut par quelque 100’000 personnes armées de smartphones, après qu’un «instragrammeur» de renom a posté un selfie sur fond de champ de coquelicots, qui ont fini piétinés.

Les personnes vivant dans les lieux qui font un tabac sur les réseaux sociaux n’en peuvent plus de ces hordes sauvages, obnubilées par la prise d’une photo qui ressemble le plus possible à ce qui tourne sur Instagram ou Facebook. Des coins qui deviennent autant de parcs d’attraction, avec toutes les nuisances qui les accompagnent. Qu’il s’agisse de Bali ou de la rue Crémieux à Paris, piétonne et colorée, qui totalise plusieurs dizaines de milliers de hashtags, où les instagrammeurs du monde entier viennent prendre les poses les plus farfelues.

Résultat de la recherche effrénée de la photo la plus originale: des dérives sont régulièrement signalées, des comportements inappropriés sur des lieux qui ont parfois une signification symbolique ou religieuse forte, et que les gens du pays estiment «profanées» par des hurluberlus. C’est ce qui s’est passé par exemple sur le site de Tchernobyl, au Mémorial de l’Holocauste à Berlin; incivilités également aux abords d’un temple hindou, à Bali, qui ont provoqué l’ire d’une population fatiguée par ces millions de touristes qui l’envahissent chaque année, prêts à inonder leur compte Instagram de clichés paradisiaques.

Est-ce possible d’y échapper? Il semblerait que oui. Par exemple en choisissant des lieux qui n’ont aucune existence sur les réseaux sociaux. Et, du coup, en renonçant à poster des photos originales, destinées à recueillir un maximum de «like». Si on réussit à échapper aux diktats des likes, des commentaires, des hashtags à deux balles pendant ses vacances, on est peut-être sur la bonne voie d’une désintoxication numérique (digital detox en anglais), qu’un nombre croissant de personnes appellent de leurs vœux, sans vraiment y parvenir.

* Journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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