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Le Somaliland, sécheresse et exil

Le Somaliland est un cas unique. Le pays a proclamé son indépendance il y a 28 ans, mais aucun pays du monde ne le reconnaît. Politiquement plus stable que la Somalie voisine, il souffre d’une sécheresse dramatique et d’une grande pauvreté qui poussent les jeunes à l’exil. Caritas Suisse travaille depuis des années au Somaliland en collaboration avec des partenaires locaux. Témoignage.
Coopération 

Le soleil est implacable. Il fait plus de 40°C, et la sécheresse est partout. Nous roulons depuis des heures sur des pistes caillouteuses à travers le désert du Somaliland, laissant une traînée de poussière derrière nous. Des chameaux émaciés et des troupeaux de chèvres croisent parfois notre route. Parfois, de petits villages apparaissent. Mais le plus souvent, on voit des campements de personnes déplacées dans leur propre pays. Ce sont des cabanes rudimentaires souvent composées d’un simple cadre en bois sur lequel sont tendues des toiles pour se protéger du soleil. Mes collègues et moi, ainsi que Candlelight, notre organisation partenaire, sommes en route pour aller voir les projets que Caritas Suisse soutient au Somaliland.

La démocratie semi-autonome du Somaliland est unique. Après la chute du dictateur Siad Barre en 1991, la Somalie a sombré dans la guerre civile. L’organisation terroriste islamiste Al-Shabab a profité du vide de pouvoir pour accroître sa puissance. Depuis lors, la Somalie n’a plus jamais été en paix. Souhaitant ne pas être entraîné dans le chaos, le Somaliland a proclamé unilatéralement son indépendance, qu’aucun Etat du monde ne reconnaît jusqu’ici.

Même si le pays est relativement stable, comparativement à son voisin où les explosions de bombes sont quotidiennes, le Somaliland ploie depuis des années sous le joug d’une crise humanitaire, essentiellement due au changement climatique. La population et le cheptel souffrent de sécheresses à répétitions entrecoupées d’intempéries dévastatrices. Depuis trois ans, c’est la sécheresse qui sévit. L’an passé, le pays a aussi essuyé un cyclone. Depuis 2016, sécheresses et inondations ont tué 90% du bétail. C’est dramatique, car la plupart des habitants, nomades, vivent de l’élevage et ont donc perdu les fondements de leur existence. L’accès à l’eau, la nourriture et la santé est un problème continu. Des centaines de milliers de personnes n’ont pas de quoi manger tous les jours. Le Somaliland est le pays comptant le taux de malnutrition enfantine le plus élevé du monde. En ce moment, un demi-million d’enfants sont menacés par la faim. Une personne sur quinze est déplacée à l’intérieur du pays à la recherche d’eau et de nourriture.

La faiblesse des institutions et l’absence de ressources entraînent une faible scolarisation et une carence des soins de santé. L’économie est très faible, notamment parce que les pays étrangers n’investissent pas dans ce pays non reconnu par la communauté internationale. Plus de la moitié de la population gagne moins de deux dollars par jour. Une majorité n’a pas de travail. Les jeunes surtout ont d’énormes difficultés à trouver un emploi. De plus, le marché de l’emploi n’est pas libre au Somaliland. La plupart des emplois sont liés à l’appartenance à un clan. Les jeunes ont le sentiment de ne pas pouvoir avancer et de n’avoir aucune perspective.

Ces conditions poussent la population, surtout les jeunes, à s’exiler. Le phénomène de l’exil des jeunes qui tentent le passage vers l’Europe par le Sahara et la Méditerranée est si répandu au Somaliland qu’on lui a donné un nom: Tahriib. Ce terme arabe se rapportait à l’origine à une activité illégale comme la contrebande ou la traite d’êtres humains. Le terme est de plus en plus populaire dans la langue somalienne.

Le Tahriib est désormais considéré comme un «désastre national». Les jeunes vivent des choses terribles dans leur fuite, ils sont victimes de traite et de violences. Les familles qui restent sont elles aussi traumatisées. Elles sont sans nouvelles de leurs proches parfois pendant des semaines, et ne savent pas s’ils sont encore en vie. Les trafiquants d’êtres humains enlèvent les jeunes et rançonnent leurs familles. Si ces dernières n’ont pas de quoi payer, elles doivent s’endetter ou vendre leurs maigres biens. Mais même si les gens sont conscients de tous ces dangers, la souffrance est si grande que la migration continue.
Caritas Suisse travaille depuis des années en étroite collaboration avec des partenaires sur place pour atténuer les problèmes aigus et permettre aux gens d’avoir un avenir dans leur propre pays. Les versements d’argent par le biais des téléphones portables permettent aux familles de s’alimenter selon leurs besoins et ainsi d’améliorer leur situation nutritionnelle. Les enfants sous-alimentés reçoivent des soins médicaux dans des dispensaires mobiles ou à l’«hôpital de la faim». Leurs parents peuvent loger à l’hôpital gratuitement et y manger, et on leur propose des cours d’hygiène et d’alimentation.

Même si la situation est dramatique, beaucoup des personnes rencontrées nous ont demandé de parler de la beauté de leur pays à notre retour. Tadalesh Aw Hirsi, un aîné du village, nous a dit: «Chez vous, ne parlez pas seulement de la misère. Racontez aussi comme le Somaliland est beau. Il y a des montagnes, des plages, le désert. Nous sommes fiers de notre démocratie. Nous voulons rester ici et construire un avenir pour nous et nos enfants. Le soutien de votre ONG est important. Il va nous permettre de construire par nous-mêmes.»

L’auteure travaille chez Caritas Suisse.

Opinions Agora Olivia Mathys Coopération 

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