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Pays à risques, deux poids deux mesures?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Dans un contexte où des attentats meurtriers peuvent surgir n’importe où sur la planète, il est recommandé, avant de partir en vacances ou en déplacement professionnel, de consulter les «conseils aux voyageurs» dispensés par nos autorités, afin d’être situé sur le contexte sécuritaire de notre destination. Mais y aurait-il deux poids deux mesures dans la perception d’une insécurité réelle ou supposée, en fonction des continents?

Prenons l’exemple des pays africains. Sur la carte des pays à risques régulièrement mise à jour par la diplomatie française – qui fait référence dans la plupart des pays européens – la couleur du continent est désormais un dégradé de rouge, orange (pays fortement déconseillés) et jaune (vigilance renforcée). Plus aucune trace de la couleur verte qui correspond à une «vigilance normale». Avec, à la clé, des conséquences dramatiques pour les pays concernés, qui, outre le fait d’être le théâtre d’attentats, se retrouvent mis au ban. Avec comme corollaire la désertion des touristes, des investisseurs potentiels. C’est toute l’économie de ces pays qui est impactée, une double peine en quelque sorte.

Sur la même carte du monde en revanche, il est surprenant de constater que l’ensemble des pays européens sont, eux, de couleur verte, soit «vigilance normale». C’est à dire rien à signaler, et feu vert généralisé pour s’y rendre en toute décontraction. Pourtant, nous avons tous en mémoire les attentats dramatiques qui ont ensanglanté la plupart des pays européens: Charlie Hebdo, le Bataclan à Paris, le camion-bélier à Nice; les attentats à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles; les attaques terroristes sur les marchés de Noël de Berlin ou de Strasbourg; l’attentat suicide lors d’un concert à Manchester, mais aussi en Espagne, en Suède, en Norvège, en Irlande… Peu de pays européens ont été épargnés par des attaques «djihadistes» qui se sont soldées par plusieurs centaines de morts. Reste qu’aucun d’eux n’est «formellement déconseillé», pas même en «vigilance renforcée».

Et du côté de l’Amérique du Nord? Là aussi, les diplomaties européennes font preuve d’une grande mansuétude, puisque le Canada, comme les Etats-Unis, ne sont aucunement mis à l’index en termes de sécurité. Et pourtant, le monde résonne régulièrement des attentats, fusillades de masse et autres meurtres par balles qui sévissent aux Etats-Unis. Ainsi, en 2018, les USA n’ont pas connu plus de quatre jours de suite sans fusillade de masse, pour un total de 454 morts et 1401 blessés. Et ce n’est là que la pointe de l’iceberg puisqu’en 2017, il y a eu aux Etats-Unis près de 16 000 personnes mortes par balles sans la moindre mise en garde aux visiteurs.

Il est d’ailleurs piquant de constater que vu, du département d’Etat des Etats-Unis, l’image de l’Europe est sensiblement différente de celle donnée par la France et la plupart des pays européens. Tous les pays européens ayant connu des attentats terroristes – la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Hollande, la Grande-Bretagne, etc. – se sont vus attribuer le chiffre 2, qui correspond à une «prudence accrue» (Exercise Increased Caution). Après les attentats de Paris, ou encore lors des récentes manifestations des gilets jaunes, les Etats-Unis avaient encouragé les Américains à renoncer à voyager en France.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le classement des pays à risques n’est pas une science exacte, et dépend de toute une série de facteurs liés à une perception basée sur les relations avec les pays concernés, les rapports de force, la géopolitique, les sources. Des classifications au coup par coup, souvent émotionnelles, ne reposant pas forcément sur une base très rigoureuse. Pour rétablir une sorte d’équilibre, on pourrait imaginer que des pays africains, par exemple, décident de produire leur propre carte de pays dits «à risques», réels ou supposés, et fournissent leur analyse sur la base de leurs propres informations de proximité, leur perception des pays, du continent et du reste du monde.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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