Honni soit qui mal y pense
Le mois de juin a vu la Marpa Ling Model School de Stongday (MLMS) honorée de la visite de la 8e réincarnation du Rimpochay Choskyong Spalgar, en mission de dix jours au Zanskar. Sa mère appartient à la famille royale de Zangla, petit village paisible, mais autrefois capitale du royaume, et son père est de sang royal ladakhi. Sa venue a suscité beaucoup d’effervescence à l’école, qui a été rafraîchie, décorée et agrémentée d’une tente de l’armée indienne transformée en trône à baldaquin au milieu d’un gazon fraîchement arrosé. Après deux heures et demie d’attente un mardi matin (pendant lesquelles les 250 élèves ont été alignés, désalignés et réalignés plusieurs fois), les véhicules du cortège de sa sainteté ont enfin été aperçus sur la route du village en provenance du monastère. On se précipita vers le portail, et moi sur le toit pour immortaliser par une photo grand-angle la mise en scène grandiose de la procession. Soudain, le cortège quitta la route et disparut dans les collines derrière le terrain de l’école.
S’éleva alors le tambourinement des traditionnels damans et on aperçut une douzaine de happy few accueillir le dignitaire à l’entrée du petit sanctuaire récemment édifié sur cette hauteur et où trônent dans une cage de verre trois statues dorées du bouddha. On identifia la silhouette tant attendue sous un parasol de soie rouge qui fit trois fois le tour du petit monument avant de remonter en voiture. Le son des tambours fit bientôt place aux voix amplifiées de villageoises scandant des refrains de bienvenue et on les vit apparaître, perchées sur le pont d’un 4×4 qui avait pris la tête du cortège. Il pénétra dans l’enceinte de l’école, suivi entre autres d’une jeep Hyundai TUV 300 rouge sang et d’un somptueux SUV Ford Endeavour d’un blanc virginal. Il en descendit… une jeune femme en chandail bleu à col roulé, jeans moulants, baskets Adidas argentées et coupe en dégradé surmontée de grosses lunettes de soleil rondes, qui se précipita dans l’allée avec son appareil photo, fit volte-face et s’accroupit en pointant son objectif vers le haut véhicule. On l’ouvrit et un fringuant trentenaire en grande tenue monastique apparut, dont les yeux étaient protégés du soleil de juin par une paire de Ray-Ban Aviator dorées.
Une fois installé derrière les micros, sa sainteté fit, pendant une petite heure, une démonstration de relations publiques, variant humour, silences, confidences, questions, lancer de jus de fruit, expressions anglaises et refrains fervents repris en chœur par l’assemblée des élèves et des villageois dans leurs magnifiques tenues traditionnelles.
Mais qu’a-t-il dit? Je me suis fait traduire tous ses propos par mon collègue d’anglais et par le directeur, que j’ai harcelés de questions pendant les heures qui ont suivi. Hé bien, il n’a dit que des choses pleines de sens! Il a affirmé qu’apprendre l’anglais, c’était bien, mais il a exhorté les élèves à perfectionner leur tibétain pour continuer à lire les enseignements du Bouddha dans le texte afin que leur culture ne disparaisse pas et que les monastères ne se vident. Il les a enjoints de ne pas partir à l’étranger pour ne plus en revenir et y devenir des working poors. Il leur a expliqué qu’il valait mieux vivre heureux au Zanskar plutôt que de couper le cordon qui les rattache à leur vallée et vivre ailleurs malheureux. Il leur a indiqué que le niveau d’éducation au Ladakh permettait maintenant à ceux qui voulaient faire des études de les suivre ici pour que vive leur région (en passant, il a cité la MLMS comme exemple réussi de sponsoring étranger permettant aux autochtones de se former en gardant leurs racines). Il a conseillé à tous de consommer local plutôt que les aliments industriels bourrés d’additifs que la publicité leur vante, et de continuer leurs activités physiques plutôt que d’acheter des voitures ou des machines. Il a répondu à une question d’élève sur les smartphones, dont l’invasion commence ici, que ce n’est pas l’engin lui-même qui est bien ou mal, mais l’usage qu’on en fait. Il a prié les parents de ne pas négliger leurs enfants, qui sont la plus grande richesse de la vallée. Il les a avertis des malheurs du matérialisme et des dangers du capitalisme. Enfin, il a rappelé les vertus cardinales du bouddhisme: compassion, patience, humilité, discipline et générosité. Finalement, il s’est levé et a traversé le pré vers le repas qui lui avait été préparé dès l’aube.
Arrivé à ma hauteur, il s’est enquis chaleureusement du photographe exotique qui se tenait à genoux devant lui pour prendre le portrait en contre-plongée de rigueur. Mais qu’a-t-il dit?
A vous de juger…
Le titre de l’article est la devise, en français dans le texte, de l’ordre de la Jarretière et qui est celle de l’Angleterre. Retrouvez «A l’école au Zanskar» jeudi 4 juillet.
L’auteur est maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ (Association Rigzen Zanskar) www.rigzen-zanskar.org