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Espoirs de l’opposition à Istanbul

Inconnu du grand public il y a encore quelques mois, Ekrem Imamoglu est devenu le héros des opposants au président Erdogan, et reste le favori de l’élection après l’annulation du premier vote.
Espoirs de l’opposition à Istanbul
Ekrem Imamoglu doit en partie son succès au soutien du parti prokurde HDP, qui a choisi de ne pas présenter de candidat. KEYSTONE
Turquie

A quelques jours du nouveau vote pour l’élection du maire d’Istanbul, le 23 juin, une centaine de supporters du candidat de l’opposition, Ekrem Imamoglu, sont rassemblés sur le port de Kadiköy. Sur l’écran géant, il répond aux questions de journalistes de la chaîne publique TRT, très favorable au président Erdogan et à son parti conservateur nationaliste, l’AKP.

Survolté, Imamoglu ne laisse pas une seconde aux présentateurs: «Binali Yildirim [candidat de l’AKP] a été invité de nombreuses fois sur les écrans de TRT, pourquoi ne m’avez-vous jamais invité?» La foule exulte. «Ça fait vingt-cinq ans que l’AKP tient Istanbul. On étouffe. Une victoire c’est la renaissance de l’espoir», explique une militante du Parti républicain du peuple (CHP, souverainiste, centriste), le parti d’Imamoglu (lire notre édition de mercredi).

Celui-ci a déjà gagné une première fois le 31 mars avec 13 000 voix d’avance. Un écart infime pour une métropole de 16 millions d’habitants mais une victoire historique. L’AKP gouverne Istanbul depuis qu’Erdogan en a été élu maire en 1994.

Imamoglu n’en aura pourtant été l’édile que dix-huit jours. Avançant des irrégularités, le Haut Conseil électoral, à la demande de l’AKP, a annulé début mai les résultats et ordonné la tenue d’un nouveau scrutin. Depuis, l’AKP se pose en victime et affirme, sans avancer de preuve, que le CHP a volé l’élection.

«Une première étape»

L’opposition semblait accoutumée à la défaite. Elle n’a remporté aucune élection majeure depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002. Incapable de dépasser sa base électorale et de s’imposer dans un jeu des urnes totalement verrouillé par le parti présidentiel, le CHP n’a pu que contempler le durcissement du régime et la concentration des pouvoirs dans les mains du Reis.

«Une victoire à Istanbul, c’est une première étape pour revenir à un régime parlementaire et restaurer la démocratie», clame un activiste du CHP. Il insiste sur son anonymat: «Ce n’est pas par peur. Mais parce que nous sommes le peuple qu’Imamoglu représente contre les corrompus.»

Le champion de l’opposition, 48 ans, affiche une constante bonhomie. En temps normal, il serait décrit comme social-libéral. Son programme n’est pas révolutionnaire, mais certaines de ses propositions pourraient bouleverser le jeu politique turc.

«Je me vois comme un médiateur, pas comme un maire inaccessible au peuple», explique-t-il au Courrier dans une interview courant mai. Il prône la transparence dans un pays où les municipalités alimentent les réseaux clientélistes à la base de la vie politique. Le budget d’Istanbul représente près de 4 milliards de francs. «Je ne vais pas gérer Istanbul en ne me focalisant que sur la bouche d’une seule personne, assure-t-il. Je travaillerai pour les 16 millions de Stambouliotes.»

Imamoglu se pose en rassembleur, partisan d’une normalisation de la vie politique polarisée à l’extrême. Son orientation idéologique floue lui permet de célébrer le fondateur du parti ultra-nationaliste et antikurde MHP (allié d’Erdogan), tout en exprimant son respect pour la campagne présidentielle en 2018 de Selahattin Demirtas, candidat emprisonné du parti prokurde HDP. Ce dernier a d’ailleurs apporté son soutien au candidat du CHP.

Rassembler l’opposition

Imamoglu doit en partie son succès à un début d’unification de l’opposition et notamment au soutien du HDP qui a choisi de ne pas présenter de candidat afin de faire barrage à l’AKP et Erdogan. «Nous n’appelons pas à voter Imamoglu mais à supporter ceux qui travaillent pour la justice et la libération de la démocratie», précise une militante du HDP tractant à Kadiköy.

Imamoglu bénéficie également des errances stratégiques de l’AKP. Celui-ci avait fait du scrutin du 31 mars une question de survie nationale, balayant avec mépris les demandes des classes populaires pour des mesures de soutien face à l’inflation (20%) et au chômage (14% en mars).

Imamoglu promet lui des solutions aux problèmes concrets d’Istanbul: développement des transports en commun, ristournes sur l’eau, le gaz, les transports, et création de 250 000 emplois en cinq ans. Des mesures reprises depuis en partie par Yildirim.

Encore inconnu du grand public il y a huit mois, Imamoglu a réussi le tour de force de remobiliser une opposition démoralisée et divisée. Son slogan «Her sey cok güzel olacak» (Tout va bien se passer) galvanise autant qu’il rassure des militants qui en étaient venus à désespérer d’un changement de régime par les urnes.

PLus de 150 condamnations à vie

Un tribunal turc a condamné jeudi à la prison à vie un total de 151 personnes à l’issue de l’un des principaux procès du putsch manqué de 2016. Le coup d’Etat a été suivi de purges d’une ampleur sans précédent dans le pays.
L’audience s’est tenue dans la prison de Sincan, où une immense salle a été construite spécialement pour accueillir les procès liés au putsch. Une centaine de personnes étaient réunies dans une ambiance tendue devant le bâtiment sous haute surveillance. Pendant que le juge énonçait les peines des accusés, les policiers à l’extérieur s’efforçaient de contenir la foule, alors que des bagarres éclataient. Un agent a tiré plusieurs coups de feu en l’air pour tenter de ramener le calme.

Ankara impute cette tentative de renverser le président Erdogan à son ancien allié, le prédicateur Fethullah Gülen, installé aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. L’intéressé, dont Ankara n’a de cesse de demander l’extradition, dément tout rôle dans le putsch manqué.
Les procédures judiciaires lancées après ce coup de force avorté sont d’une ampleur sans précédent en Turquie. Plus de 55000 personnes ont été arrêtées lors des purges. A ce jour et sans compter les condamnations de jeudi, 3239 personnes ont été condamnées à l’issue de 261 procès liés au putsch, et 28 procès sont encore en cours, selon des chiffres du Ministère de la justice. ATS/ AFP

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