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Grève féministe: J-8

Grève féministe: J-8
KEYSTONE / IMAGE D'ILLUSTRATION
POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

S’il fallait une preuve du pouvoir de dérangement et du caractère subversif de la grève du 14 juin, le nombre d’attaques et de tentatives de la discréditer en est une de taille. Il ne passe pas une semaine sans essuyer réactions hostiles, attaques et fausses polémiques à l’encontre de cette mobilisation, dont l’ampleur s’annonce inédite.

Prenons quelques exemples de ces dernières semaines qui peuvent s’organiser en deux types d’argumentation. D’un côté celles et ceux qui jugent le projet pas assez inclusif, soit les personnes qui ont longuement palabré sur la soi-disant exclusion des hommes et qui ont confondu demande à ce qu’ils n’apparaissent pas en première ligne, à ce qu’ils prennent en charge des tâches habituellement faites par les femmes (leurs collègues, amies, compagnes) et à ce qu’ils se montrent solidaires pour de l’exclusion! Dans ce premier groupe, on trouve notamment Christa Markwalder (PLR), Lise Bailat (correspondante parlementaire) et Stéphanie Pahud (linguiste féministe). De l’autre côté, des personnes qui trouvent au contraire la grève trop inclusive, celle-ci dépassant le cadre strict et classique de la grève syndicale, chère à une certaine tradition ouvriériste. Pour asseoir cette position, des syndicalistes français ont même été appelés en renfort (Le Temps, 24.05.19) afin de critiquer l’ampleur et la qualité de la grève. Une «vraie grève» se fait sur son lieu de travail, en se mettant en danger (celui de perdre son travail). Bref, pendant que d’aucun-e-s ne la trouvent pas assez subversive, d’autres (l’Union patronale suisse) s’insurgent contre le caractère illicite de la grève et les féministes qui viendraient briser la paix du travail.

Bonne nouvelle! Toute cette agitation nous dit quelque chose de la mobilisation: elle fait peur, elle est prise au sérieux, son ampleur inquiète.

Autre signe de l’inquiétude quant à l’ampleur du mouvement, les réactions de certaines entreprises. Depuis plusieurs semaines, les esprits s’échauffent du côté des directions qui ne savent plus sur quel pied danser. Pêle-mêle, on entend parler de tentatives d’interdiction du port du badge ou de la couleur violette, ou encore de suggestions appuyées de ne pas faire de revendications lorsque la direction est aux mains d’une femme. Les actions de récupération sont également de toutes sortes: droit (voire invitation) de porter le badge de la grève ou fabrication d’un badge maison que le personnel pourra arborer ce jour-là, ou encore commande de banderoles qui seront déployées sur les murs des établissements. D’autres organisations donnent congé aux femmes toute la journée, essayant de transformer une mobilisation subversive en une journée au plein air… Certaines octroient une heure pour pouvoir se préparer et se rendre à la manifestation organisée en fin de journée, sans parler de celles qui communiquent à tout vent qu’elles soutiennent la mobilisation pour l’égalité… D’aucun-e-s parleraient ici de «feminism washing» ou de «strike washing»….

Une chose est sûre, de telles réactions attestent clairement du pouvoir subversif de la mobilisation en cours. En interprétant le mot grève autrement que la tradition syndicale, les féministes engagées dans cette action du 14 juin montrent que le dialogue, la négociation, la conciliation lors des négociations entre les partenaires sociaux s’avèrent des obstacles à une vraie égalité. Leurs cahiers de revendication mêlent différents aspects de leur vie, elles parlent de travail mais disent qu’il ne se limite pas à l’emploi, elles rappellent que le marché du travail et le droit du travail n’assurent pas l’égalité, on le saurait depuis longtemps si c’était le cas. Parce que les inégalités ne s’arrêtent pas au travail salarié, elles rappellent que le privé est aussi politique, slogan qui peine encore aujourd’hui à être entendu en Suisse. Par cette mobilisation, les féministes disent leur ras-le-bol de se faire avoir (inégalités salariales persistantes, attaques sur les retraites par toutes les tendances politiques du PS au PLR). En clamant haut et fort le mot grève dans les médias, dans les rues, les lieux de travail, leur foyer, elles s’approprient non seulement cet instrument de lutte, mais posent un acte fort: la concrétisation de l’égalité nécessite une grève politique.

Vingt-huit ans après la première grève des femmes, la mobilisation prend à nouveau des airs de grève nationale. Une fois de plus, les féministes montrent leur capacité d’organiser des manifestations d’ampleur, parviennent à dépasser les clivages partisans et les frontières que d’aucun-e-s ont édifiées au cours du temps: femmes sans papier, employées de maison, vendeuses, ouvrières de l’horlogerie, personnel de la santé, du travail social, de l’enseignement, de l’administration… les femmes et les hommes solidaires seront présent-e-s le 14 juin sur leur lieu de travail, dans leur quartier, en ville, dans les rues, pour réclamer des actes.

Vous avez encore une hésitation? Le compte à rebours est lancé. Le 14 juin, mobilisez-vous.

Les auteures sont investigatrices en études genre.

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