Chroniques

Cherche pays «pauvres» pour exportations d’ordures

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Les habitants des pays dits «riches» et «développés» qui trient scrupuleusement leurs ordures estiment agir en citoyens responsables, et faire le geste qui sauve la planète, le climat et tutti quanti. Chacun dispose désormais chez lui de ses petites poubelles qui lui permettent de faire du tri sélectif; et à la déchetterie locale, ils prennent soin de ne pas se tromper de benne: une pour le papier, l’autre pour le plastique, la ferraille, les déchets électroniques. Pour avoir l’esprit en paix, et continuer à (r)acheter, (r)acheter encore, nous ne nous posons pas trop de questions sur le sort réservé à nos ordures. Tout est propre en ordre et sous contrôle, n’est-ce pas?

A peine entend-on, au loin, dans le brouhaha du déferlement d’infos en continu, la Malaisie qui annonce qu’elle refuse de devenir «la décharge du monde». «Je déteste voir mon pays comme le dépotoir du monde développé», a déclaré il y a quelques jours Yeo Bee Yin, nouvelle ministre de l’Environnement, qui demande aux pays dits riches de «s’occuper de leurs déchets», mettant en avant la nécessaire protection de l’environnement de son pays. Dans la foulée, elle a annoncé qu’elle retournait à l’expéditeur 3000 tonnes de déchets plastiques, soit 60 conteneurs d’ordures importés illégalement à partir de la France, de la Grande-Bretagne, d’Espagne, des Etats-Unis, du Canada, du Japon. Les Philippines, également submergées, ont recouru dernièrement à une société de transport maritime privée pour renvoyer 69 conteneurs de déchets à l’expéditeur, le Canada, qui tardait à reprendre sa cargaison.

On en est là. Depuis l’annonce par la Chine, début 2018, qu’elle allait désormais interdire l’importation de milliers de tonnes de déchets plastiques, de vieux papiers, de textiles, que lui envoyaient les pays occidentaux, la Malaisie, le Vietnam, l’Indonésie et la Thaïlande ont vu surgir des centaines d’usines de traitement des déchets, souvent illégales, œuvrant dans des conditions dantesques pour l’environnement et la santé des populations, tentant d’absorber les cargaisons désormais interdites en Chine. Les conteneurs sont souvent introduits illégalement dans les pays, avec de fausses déclarations sur leur contenu réel. Les pays du Sud-est asiatique sont submergés, n’arrivent plus à faire face, à gérer et recycler leurs propres déchets plastiques, ainsi qu’une part importante de ceux des pays occidentaux. Qui s’en étonnera ? Sur les dix fleuves du monde charriant le plus grand volume de plastique vers les mers, huit sont situés en Asie, et deux en Afrique.

Le continent africain tente lui aussi de lutter contre le plastique qui envahit tout, jusqu’à l’estomac du bétail, tapissé de sacs en plastique, lesquels s’accrochent aux arbres, bouchent les caniveaux, s’enfoncent dans la terre. Un nombre croissant de pays les ont interdits. Reste que les pays africains doivent aussi faire face aux millions de téléphones portables, téléviseurs, appareils électroménagers, débarqués en toute illégalité dans les ports d’Accra, Lagos, Nairobi ou Abidjan. Ces appareils sont ensuite démembrés, brûlés, pour récupérer les métaux qu’ils contiennent, libérant des fumées toxiques. Estampillés «matériel d’occasion», pour échapper ainsi à la Convention de Bâle qui interdit depuis 1989 l’exportation de déchets dangereux, ces e-déchets font de l’Afrique le plus grand dépotoir au monde de déchets électroniques d’Europe et d’Amérique du Nord.

Nous sommes bien loin de nos proprettes déchetteries et de notre tri sélectif. Le trafic international de déchets est aussi lucratif que celui d’êtres humains. Sur les océans de la planète, se croisent désormais des navires plus ou moins pourris, transportant des hommes et des femmes cherchant à sauver leur peau; et d’autres, transportant plus ou moins légalement du plastique, du papier ou des déchets électroniques, cherchant un port d’accueil pour décharger leur cargaison. Brave New World.

*Journaliste

Opinions Chroniques Catherine Morand

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion