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Je pars ou je reste? Ah, ces jeunes…

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Traverser la ville de Lausanne vers 4h du matin en fin de semaine, par exemple pour aller prendre le premier train direction Genève-Aéroport, est une épreuve dont on ne sort pas indemne. La ville est en effet parsemée de groupes de jeunes gens sortant de boîte, complètement bourrés, voire proches du coma éthylique; certains, filles comme garçons, couchés sur les trottoirs en train de cuver. Dans les lueurs de la nuit, le spectacle est apocalyptique. Même s’il ne s’agit là que d’une minorité – c’est ce que l’on dit dans ces cas-là – on ne peut s’empêcher de se poser deux ou trois questions sur une société qui «condamne» (?) sa propre jeunesse à des addictions multiples et variées (alcool, drogue, jeux vidéo, instagram, facebook, etc.) lesquelles diminuent singulièrement les moments de «vie réelle» dans une journée. Si l’on ajoute à cela les chiffres terrifiants d’une hausse spectaculaire des tentatives de suicide au sein de cette même jeunesse, on est un peu secoué. Notre société offre pourtant d’innombrables possibilités de formation, de loisirs, des opportunités de jobs, n’est-ce pas? So what?

Prendre une cuite n’est bien entendu pas une spécialité suisse. Les jeunes Européens sont connus pour sillonner le continent du nord au sud, d’est en ouest, et le reste du monde aussi, à la recherche de «parties» alcoolisées avec le meilleur rapport quantité/prix. Sur le continent africain, les jeunes ne sont pas en reste. Chaque week-end, les tables des «maquis» (gargotes) et des boîtes à la mode sont bel et bien couvertes de bouteilles vides. Reste que, d’une manière générale, on a le sentiment que les jeunes y ont davantage la niaque, en «veulent plus», que leurs semblables suisses ou européens, qui peinent à être «motivés».

Alors que les universités publiques sont à la peine sur le continent africain, les étudiants descendent dans la rue pour exiger de pouvoir étudier dans de bonnes conditions. Et celles et ceux qui en ont la possibilité n’hésitent pas à quitter courageusement famille et amis pour aller poursuivre leurs études à l’autre bout du monde, en Inde, en Chine, au Canada, en France. Dotés d’un mental d’acier, ces jeunes gens ne s’interdisent rien, se projettent dans des carrières mondialisées, où ils estiment avoir toute leur place et comptent bien l’occuper.

Celles et ceux qui ont par contre un parcours scolaire interrompu, qui s’inventent chaque jour, dans des conditions très difficiles, de quoi gagner leur pitance, sont également portés par un espoir: celui de partir pour l’Europe. C’est incroyable! Malgré toutes les infos, les reportages documentant la galère de la vie en Europe, le parcours mortel du combattant pour y arriver, les candidats au départ ont toujours les yeux pleins d’étoiles lorsqu’ils évoquent leur embarquement imminent pour l’Eldorado européen. Où ils comptent bien rejoindre leurs amis qui y sont déjà installés et les bombardent de photos où ils posent devant la tour Eiffel. «Pourquoi eux et pas moi? Chacun a sa chance», expliquent-ils en boucle.

Lorsqu’on est persuadé-e qu’il existe un ailleurs meilleur, cela empêche-t-il d’être désespéré, de n’avoir plus que l’alcool et la drogue, entre autres addictions, comme seul horizon? De leur côté, de nombreux jeunes Européens imaginent donner un sens à leur vie en allant aider les Africains à sortir de toutes les calamités dont ils sont accablés. Une fois arrivés sur place, ils découvrent parfois que ceux qui ont le plus besoin d’aide ne sont pas forcément ceux qu’on pense.

Conclusions? Simple, basique, comme dirait le chanteur Orelsan: on peut vivre dans un des pays les plus riches du monde et être suffisamment désespéré pour ne plus avoir envie de rien, voire d’en finir avec la vie. On peut être très attaché à son pays et n’avoir qu’une idée en tête: celle de le quitter, car ailleurs, c’est bien connu, c’est mieux, surtout en Europe. Conclusion (bis)? Aucune.

L’auteure est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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