La blockchain se normalise
Les dizaines de milliers d’acquéreurs de billets de Paléo n’en sont sans doute pas conscients, mais ils sont parmi les principaux utilisateurs de la blockchain, une technologie largement associée jusqu’ici aux cryptomonnaies comme le bitcoin.
Le festival nyonnais a en effet mandaté SecuTix, une société lausannoise spécialisée dans la vente de billets de grands spectacles sur internet, pour assurer sa propre distribution. Et SecuTix emploie la blockchain pour sécuriser ses billets: munis d’un code, ces derniers ne peuvent pas être revendus avant un certain délai ni à un prix supérieur à un certain plafond.
Ecosystème
Permettant la transmission d’information selon une chaîne à la fois très sécurisée et décentralisée, la blockchain, dite aussi «chaîne de blocs» ou «technologie du registre distribué» est en train de se répandre dans un nombre croissant d’activités économiques. «Elle permet les échanges d’égal à égal sans passer par un intermédiaire. Elle peut se déployer dans une myriade de domaines d’activités comme la sécurité informatique, le commerce international de matières premières, la gestion des données personnelles et les marchés financiers», explique Antonio Gambardella, directeur de la Fongit, un incubateur de jeunes entreprises à Genève.
«La blockchain permet des échanges d’égal à égal sans passer par un intermédiaire» Antonio Gambardella
Ce développement nourrit tout un écosystème de plates-formes, de start-up et de sociétés déjà bien établies dans tout le pays, et non pas seulement dans la «crypto-valley» comprise entre Zoug et Zurich, parfois comprise comme le cœur de ce que l’officialité suisse aime à désigner la «crypto-nation». Selon le site CVmaps.ch, édité par la société d’investissement zougoise CVVC, la Suisse héberge quelque 750 entités de toute nature dans pratiquement toutes les régions du pays, employant plus de 3000 personnes et d’une valeur supérieure à 44 milliards de francs.
L’on en compte une soixantaine en Suisse romande. Genève et Vaud en abritent le plus grand nombre (une cinquantaine à eux deux), mais on en trouve aussi à Fribourg (une, Porini en ville de Fribourg), à Neuchâtel (une demi-douzaine), dans le Jura bernois et en Valais (trois pour l’un, deux pour l’autre). Le Jura n’en a pour le moment aucune.
Projets nationaux
Un business en pareil développement et aussi prometteur attire évidemment les gros poissons. Cela d’autant plus que, depuis décembre dernier, la Confédération a clarifié le cadre juridique en expliquant que, hormis certaines dispositions concernant le blanchiment d’argent, les lois et règles actuelles suffisent. Swisscom a lancé en 2017 sa Swisscom Blockchain, rampe de lancement pour les levées de fonds en cryptomonnaies (ICO). En 18 mois, cette entité est passée de 5 à 30 employés et se double d’un centre d’échange d’expérience et de formation, Blockchain Academy. Son porte-parole ne livre néanmoins aucun autre chiffre.
L’ex-régie fédérale a lancé une nouvelle initiative en mars dernier avec Daura, une plate-forme de conformité, mise en place avec la société spécialisée zurichoise MME, qui se prévaut de la clientèle d’une start-up pas comme les autres: Sygnum, spécialisée dans le traitement des titres financiers pour les PME et soutenue notamment par Philipp Hildebrand, ex-président de la Banque nationale suisse.
Swisscom joue enfin la carte nationale en étant associée depuis décembre 2018 à cette autre ex-régie qu’est La Poste pour la mise en place d’une infrastructure indigène dont «les données sont entièrement hébergées en Suisse et l’infrastructure répond aux exigences de sécurité élevées des banques».
Consortiums globaux
Mais ces solutions nationales ont-elles de l’avenir? Les experts en doutent, la blockchain permettant, comme internet, l’instauration de réseaux de dimension mondiale sans surcoûts. Ainsi, grandes banques et multinationales se sont-elles associées à leurs semblables d’autres pays pour monter leurs propres plates-formes communes.
UBS est ainsi montée dans le navire de We.trade après avoir initié une autre plate-forme, Batavia, désormais fondue dans la précédente. Credit Suisse a été l’un des premiers grands établissements à boucler une transaction de grande ampleur avec la portugaise Banco Best en février dernier en se servant exclusivement de la blockchain. Les deux géants helvétiques se sont enfin associés à d’autres géants internationaux comme Microsoft, Intel ou encore la banque d’affaires américaine JP Morgan dans Enterprise Ethereum Alliance, un réseau à l’échelle mondiale permettant à ses membres de s’échanger des informations sécurisées sur la base de la technologie de l’ether, qui n’est ainsi pas qu’une cryptomonnaie.
Au supermarché
Tout cela reste-t-il encore loin de la vie ordinaire des gens? Cela ne durera probablement pas. Carrefour, le géant français de la grande distribution, annonçait fin 2017 que ses clients pourraient vérifier la traçabilité de quelques produits vendus dans ses supermarchés en France (comme les poulets fermiers) sur leur smartphone grâce à la blockchain. Néanmoins, cette possibilité semble encore bien théorique: interrogés lundi dernier sur la manière de procéder, des employés du centre commercial de Divonne n’ont pas su répondre, faute d’être eux-mêmes informés… Migros et Coop n’ont ainsi pas encore franchi le pas. Mais tous deux disent, par leurs porte-parole, «observer la situation de près». LA LIBERTÉ