Vers le printemps soudanais
Trente ans de pouvoir absolu balayés en moins de quatre mois? Une incommensurable liesse a accueilli ce matin les rumeurs de démission du président soudanais, Omar el-Béchir. L’annonce, dans l’après-midi, de son remplacement «pour deux ans» par des caciques du régime a refroidi l’ambiance. D’autant que le «conseil militaire de transition» a, dans la foulée, interdit toute nouvelle manifestation.
L’évènement n’en est pas moins remarquable: malgré une féroce répression, le mouvement populaire déclenché en décembre par la hausse du prix du pain a contraint l’armée à lâcher le vieux colonel, sous la conduite duquel elle avait renversé, en 1989, la jeune et fragile démocratie soudanaise. Omar el-Béchir était, après Teodoro Obiang et Paul Biya, le plus ancien président en poste sur le continent. Avec l’aide de l’armée et des islamistes, il a instauré un régime autoritaire et ultraconservateur, où la corruption et la charia cohabitent sans fausses pudeurs. Poursuivi par la Cour pénale internationale pour des crimes au Darfour, accroché à la barre d’un Etat ruiné par les guerres, les sanctions internationales, la sécession du Sud pétrolier et l’accaparement des richesses par quelques-uns, il semblait insubmersible, naviguant avec talent entre le camp occidental et ses alliés historiques d’Orient.
Délivré des sanctions étasuniennes en 2017, l’ancien allié de l’Iran avait même rejoint la coalition prosaoudienne au Yémen. Surtout, il «bénéficiait» depuis 2014 de «l’aide» du FMI. Fin des subventions au blé et à l’électricité, dévaluation: les dernières mesures imposées à Omar el-Béchir auront pourtant précipité sa chute.
Que peut-il désormais se passer? Comme en Algérie, le mouvement ne devrait pas se contenter de la chute du symbole. S’il est né d’un ras-le-bol social, il a rapidement inscrit l’exigence du pluralisme politique au cœur de son combat. Mieux: la «Déclaration pour la liberté et le changement» – sa charte élaborée en janvier – contient des principes sociaux, pacifistes, féministes, d’Etat de droit et de respect des droits fondamentaux qui pourraient guider le Soudan vers une transition fructueuse.
Confrontés depuis quatre mois aux arrestations de masse, aux dizaines de martyrs, les contestataires ont démontré qu’ils ne se laissent pas facilement intimider. Reste à savoir ce que l’armée et les caciques sont prêts à commettre pour conserver ce pouvoir duquel ils tirent revenus et immunité judiciaire.