Le chat du lama
Une bonne partie de mon temps passé à Leh, je le consacre à la visite des gompas, qui, constituent, avec la contemplation de ses paysages grandioses, une attraction majeure du Ladakh. Un jour de mars, je me suis rendu à l’un de ces monastères bouddhistes très anciens (près de mille ans!) et ses temples, dans un endroit discret au bord de l’Indus qui s’appelle Alchi. Après avoir franchi le pont décoré de milliers de drapeaux de prières claquant au vent, je garai ma petite Suzuki Maruti d’emprunt au bout de la route étriquée qui se termine au centre d’un minuscule village, assez ordinaire, de maisonnettes en briques de terre. Je descendis ses ruelles désertes bordées d’une multitude de boutiques pour touristes (heureusement fermées en cette saison), qui mènent au monastère. Le portail du choskor (l’enclave religieuse) était ouvert; je le franchis. Personne. Je fis quelques pas sur la neige durcie qui crissait sous mes pas et entendis quelqu’un derrière moi.
C’était le lama Lobsang, seul résident des lieux, qui me salua amicalement et se présenta avant de m’informer que les temples étaient fermés, mais qu’il pouvait me les faire visiter. Je parcourus l’un après l’autre les différents llakhangs (sanctuaires dédiés spécifiquement à une divinité) en sa paisible compagnie avant de pénétrer dans le sumtsek, un joyau en bois à trois niveaux, typique de l’architecture cachemiri pré-islamique. Il renferme trois impressionnantes statues de divinités. Mesurant jusqu’à six mètres de haut, elles se tiennent debout dans des hautes niches disposées sur trois côtés du carré que forme le temple. Elles ont quatre bras et autant de mains dont les longs doigts sont positionnés en différentes mudras (positions manuelles symboliques). Elles sont vêtues d’un unique dhoti (sorte de jupe drapée) minutieusement décoré. Elles sont sublimes de beauté et de sophistication.
Bouche bée et ému aux larmes par tant de majesté et de mystère, je fis plusieurs fois le tour du chorten central en découvrant dans la pénombre les mille et un détails des statues, mais aussi des fresques murales, du plafond aux quarante-huit motifs décoratifs empruntés à l’art textile traditionnel et des mandalas de la galerie supérieure. Après de longues minutes d’extase esthétique, j’aperçus du coin de l’œil le lama saisir la baguette recourbée du tambour de prière dressé sur un unique pied vertical. Je me demandai soudain si mon émotion quasi mystique l’inspirait à scander quelques mantras au rythme du tambour…
Brandissant la baguette, il s’éloigna pourtant en direction de l’autel où trône un buddha doré. Il s’agenouilla et… se mit à agiter la baguette sous l’escalier en bois de l’autel pour en faire sortir un petit chat tigré et jouer avec!
Morale (peu profonde mais rassurante): Même les grands prêtres aiment jouer avec les petits chats.
L’auteur est maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ (Association Rigzen Zanskar) www.rigzen-zanskar.org
Retrouvez «A l’école au Zanskar» jeudi 11 avril.