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La retraite, période majeure de l’existence

Temps de la transmission par excellence, la retraite fait l’objet d’un ouvrage, à la fois bilan et guide, signé par Jean-Pierre Fragnière. Recension proposée par Jean Martin.
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«Parler de retraite ne saurait en aucun cas correspondre à un projet de retrait.» Spécialiste des enjeux liés à ce qu’il appelle la «société de longue vie», coauteur d’un livre récent sur la fin de vie1>Oser la mort, Socialinfo, 2018. Cf. agora de J. Martin, Le Courrier du 27 septembre 2017., Jean-Pierre Fragnière a enseigné les sciences sociales, particulièrement la politique sociale, à Lausanne, Genève et Neuchâtel. Son dernier ouvrage, La retraite – Quels projets de vie?2>Jean-Pierre Fragnière, La retraite. Quels projets de vie?, Lausanne: Editions Socialinfo, 2019, 154 pages., est un tour d’horizon, à la fois bilan et guide, sur cette période de la vie qui a pris de l’importance au cours des dernières décennies.

Les retraité-e-s comptent en termes de croissance démographique, de santé –  bonne le plus souvent, et qui leur permet de s’adonner à de multiples activités physiques, sportives et culturelles – mais également au vu de leurs importants besoins sanitaires et sociaux quand viennent la maladie et la dépendance. «Avons-nous conscience, demande l’auteur, d’être engagés dans un débat qui se fonde sur une histoire de plusieurs succès?»: allongement de l’espérance de vie, autonomie accrue, possibilités de formation, amélioration de la couverture médico-sanitaire et sociale…

Il n’est pas exagéré de parler d’une «nouvelle vie» pour celles et ceux qui arrivent à l’âge de la retraite. Ce qui appelle quatre questions: 1) Les images de la vieillesse qui m’habitent me permettent-elles de construire l’avenir? 2) Quel contenu donner aux jours et aux années qui s’offrent? 3) Comment gérer les risques inhérents à ces transformations, porteuses de nouvelles vulnérabilités auxquelles il faut faire face? 4) Quel sera mon statut dans un environnement qui ne va pas manquer d’étiqueter mes choix?

Par un choix judicieux des titres de chapitres – «Les vieux, ça n’existe pas», «De nouveaux rapports à la société», «Conquérir sa place», «Quatre générations solidaires»… –, Fragnière montre que le ou la retraité-e d’aujourd’hui se reconnaît le droit de vivre toutes les dimensions de la vie sociale: citoyen-ne actif/ve, partenaire d’une relation affective, etc. Quitte, pour établir son projet, à «rédiger et réécrire plusieurs brouillons». Quitte aussi à devoir «prévenir nombre de tentatives de nous disqualifier, de nous sous-estimer, de nous renvoyer à nos tricots ou à nos collections de timbres».

Concernant le fait de «laisser sa place», si «en période de croissance et de mobilité ascendante, la question se résout assez naturellement», selon l’auteur, ce n’est pas le cas dans les périodes marquées «par une ‘panne de l’ascenseur social’», où la fin de carrière coïncide avec des «invitations à s’effacer». Une injonction qui accompagne les tentatives de conserver une part d’activité. Or «cette période est aussi habitée par la question de la transmission du savoir acquis, du savoir-faire, de l’expérience» qui ne s’apprend pas dans les livres. Le ou la retraité-e doit apprendre à accueillir, conseiller et partager.

Fragnière cite un avis interpellant de l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss: «Que les grands-parents et leurs petits-enfants se mettent ensemble pour prendre en tenaille notre génération [d’âge moyen] pour qu’elle élargisse son champ de vision.» Ce devoir d’ouverture et le poids des retraité-e-s sur la vie sociopolitique impliquent un effort de compréhension: il s’agit entre autres de réduire les forces qui tendent à placer les diverses générations dans des ghettos. L’auteur souligne la croissance des inégalités, face auxquelles «la pratique des solidarités est la condition de l’existence des autonomies».

Dire que La retraite perce tous les secrets d’une vie bien vécue après la cessation de l’activité de l’âge adulte serait prétentieux, mais ce livre apporte une réelle contribution dans ce sens, structurée en sections courtes et claires, agréables à lire. Vivantes.

Notes[+]

L’auteur est ancien médecin cantonal, Vaud.

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