Ni à l’école ni au Zanskar!
A la fin de ma première chronique, le 14 février, je vous annonçais le récit de mon prochain périple sur la glace de la rivière Zanskar pour rejoindre la vallée du même nom et le petit village de Stongday où je suis supposé aller à l’école. Or ce récit-là n’aura pas lieu. Explications.
La rivière Zanskar prend sa source à l’extrémité ouest de la haute vallée isolée du Zanskar, près du col de Pensi-la, et coule vers le nord-est en formant un grand «S» de plus de 300 kilomètres à travers les montagnes pour rejoindre la vallée de l’Indus, où elle se jette dans le fleuve non loin de Leh, chef-lieu du Ladakh, d’où j’écris ces lignes. Depuis des siècles, les habitants du Zanskar empruntent en hiver la rivière gelée pour rentrer et sortir de leur vallée dans le but de s’approvisionner et de faire commerce d’ustensiles en cuivre, de peaux de chèvre ou de beurre de yak. En ce moment de l’année, les cols sont encore trop enneigés, et les eaux gelées de la rivière forment le seul itinéraire possible pour relier Leh. Il n’existe aucune route, aucun tunnel praticable à l’année. Plusieurs projets sont en cours, qui sortiront bientôt la vallée du Zanskar de son isolement – et de sa quiétude! Ces dernières années, le «Chadar Trek» (chadar signifie gelé en langue locale) est devenu une randonnée incontournable pour tous les aventuriers amateurs de la planète. Pour une moitié des enseignants de l’école de Stongday qui n’habitent pas au Zanskar à l’année, c’est aussi la seule voie d’accès à leur lieu de travail pour huit mois.
Le 23 février, vingt-cinq personnes (enseignants, directeur, porteurs et guides) devaient s’y engager pour arriver à temps, trois jours et deux nuits plus tard, pour le début de l’année scolaire prévu le 4 mars. Las! A la suite de fortes chutes de neige survenues le 21 février, des avalanches et des éboulements ont coupé le cours d’eau et la route qui le longe en partie (aux deux extrémités du parcours), le rendant impraticable à plus de 80%. Le Chadar Trek a immédiatement été annulé et le trajet fermé pour cette année. Cette mini catastrophe naturelle vient s’ajouter au réchauffement climatique et à l’afflux grandissant des touristes sur la liste des raisons qui annoncent la fin – voire l’interdiction définitive – de cette voie d’accès, pour des raisons de sécurité et de préservation des lieux.
Inutile de dire que ma déception est immense. Cela fait plus de deux ans que je me prépare à cette randonnée hivernale, prélude de mon projet au Zanskar, et la voilà annulée pour la première fois depuis la création de l’école il y a près de vingt ans. Je devais faire partie, en toute vraisemblance, des derniers privilégiés à pouvoir emprunter cet itinéraire hors norme, et je figure parmi les premiers à ne plus y avoir accès. Il serait évidemment mesquin de le déplorer à ce titre, et déplacé de m’étendre sur mes états d’âme. Le problème est autrement plus grave pour les quelque 300 Zanskarpas empêchés de rentrer chez eux. Jusqu’au mois d’avril, aucune voie d’accès terrestre n’est possible.
Il ne restait que la voie des airs, et un héliportage d’urgence a immédiatement été évoqué et discuté entre responsables locaux et l’armée indienne. Cependant, nous sommes à Leh et pas à Zermatt et, plus sérieusement, les escarmouches mortelles entre le Pakistan et l’Inde au Cachemire, voisin de 250 kilomètres à peine, ainsi que la vétusté avérée des appareils, ont retardé toute l’opération. Par ailleurs, les rotations finalement mises en place pour rapatrier les habitants du Zanskar ne l’étaient évidemment pas dans le but d’y héliporter un prof suisse en congé sabbatique!
A l’heure où vous lisez ces lignes, les autochtones et les enseignants indiens ont atteint leur destination par les airs. En ce qui me concerne, je dois attendre le mois d’avril pour gagner le Zanskar à pied. Une fois qu’une partie de la neige aura fondu, un trek himalayen de cinq jours pourra être organisé avec guide et porteurs. La première partie suivra la rivière Zanskar par la route jusqu’à Tilit Sumdo, à l’endroit où le Chadar Trek aurait dû commencer. Nous obliquerons au sud pour suivre un affluant du Zanskar, le Kharnag Chu. Nous le délaisserons au profit du Zumling Chu, progressant vers l’ouest jusqu’au col de Charchar-la, dont nous franchirons les 4915 mètres de nuit ou très tôt le matin, pendant que la neige encore dure permet de progresser normalement. Enfin, une descente vertigineuse de mille mètres nous permettra de rejoindre Zangla, village voisin de celui de Stongday, dans la vallée du Zanskar, où je pourrai enfin aller à l’école! Sans rien promettre cette fois, j’ai, entre nous, bon espoir d’y parvenir. L’occasion, d’ici là, de partager la vie locale des Ladahkis…
Retrouvez «A l’école au Zanskar» jeudi 28 mars.
L’auteur est maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ (Association Rigzen Zanskar) – www.rigzen-zanskar.org