Burundi: bras de fer avec les ONG étrangères
Au début de l’année, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) étrangères ont été poussées à quitter le Burundi. Ces organisations humanitaires ou de développement avaient refusé de se conformer à une loi controversée qui leur impose un contrôle sur leurs finances et l’instauration de quotas ethniques. Alors que le Burundi compte parmi les cinq pays les plus pauvres du monde, le bras de fer avec les ONG étrangères contribue encore davantage à l’isolement de ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs.
En janvier 2017, le gouvernement du Burundi a adopté une loi qui régit les ONG étrangères sur son sol. Le texte prévoit notamment un contrôle plus strict des finances et des frais administratifs des ONG. De plus, il exige que la composition du personnel burundais respecte les équilibres ethniques et de genre définis dans la Constitution nationale (60% de Hutu et 40% de Tutsi, au moins 30% de femmes). Si plusieurs organisations américaines se sont conformées à la nouvelle loi, des réticences se sont fait sentir de la part des acteurs européens. Plutôt que de satisfaire la requête relative aux quotas ethniques, qui aurait parfois conduit à des changements importants dans leur personnel, plusieurs ONG ont préféré cesser leurs activités au Burundi. C’est notamment le cas de Handicap International ou d’Avocats sans frontières.
Pour les organisations restées au Burundi, cette loi n’est pas non plus sans conséquences. Un représentant d’une ONG suisse revient sur l’impact négatif de ce texte sur la motivation des collaborateurs nationaux qui «ne se sentent pas supportés par l’Etat, alors que leur mission permet une prise en charge de problèmes que l’Etat ne peut pas gérer».
Contrairement au Rwanda voisin, au Burundi les ethnies sont reconnues. L’instauration de quotas ethniques dans le secteur public date de la signature de l’Accord de paix d’Arusha, en 2000. Largement soutenu par la communauté internationale, cet accord avait mis un terme à sept ans de guerre civile. Toutefois, alors que l’appartenance ethnique n’apparaît pas sur les documents d’identité, certaines organisations étrangères, dont Handicap International, craignent que l’application de la loi conduise à un «fichage» de leurs employés. Celui-ci «pourrait être un préalable à des mesures dont la portée est à ce stade inconnue».
Tandis que le pays fait face à une importante crise depuis avril 2015 en raison de l’obstination du président Nkurunziza à briguer un troisième mandat, et dans un contexte où les violences politiques et interethniques se confondent, les craintes semblent justifiées. Les arrestations, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires se comptent par centaines depuis avril 2015, et l’instabilité prévaut.
Plus globalement, la suspension de ces ONG s’inscrit comme dernier maillon d’une véritable rupture dans les relations entre le gouvernement et les puissances occidentales. Fortement soutenu par la communauté internationale, le Burundi a longtemps été perçu comme un modèle de processus de paix réussi. C’est d’ailleurs l’un des pays prioritaires de la coopération suisse. Cependant, face à la multiplication des signes de dérive autoritaire, les relations entre les acteurs européens et le gouvernement se sont détériorées. Les bailleurs ont progressivement diminué et réorienté leur soutien, se concentrant sur l’aide humanitaire. A titre d’exemples, la Suisse ainsi que la Belgique et la Hollande ont suspendu une partie de leur contribution financière au processus électoral de 2015.
Quant à la crise des réfugiés burundais, elle est actuellement l’une des crises humanitaires les moins financées au monde. Plus récemment, la représentation du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a été priée de quitter le pays. C’est donc dans un climat tendu que la récente loi sur les ONG a été décidée. En parallèle, la présence chinoise augmente au Burundi. Moins regardante sur les dérives autoritaires du régime, le Chine vient de construire un nouveau palais présidentiel inauguré par le président Nkurunziza ce 14 février.
La première victime de cette situation demeure la population burundaise. A ce jour, la crise de 2015 a forcé 400 000 Burundais à se réfugier dans les pays voisins, et environ 160 000 autres ont été déplacés à l’intérieur du pays (UNHCR 2018). La population se retrouve isolée, les principaux médias nationaux ayant été anéantis. Dans ce contexte, en faisant du ménage parmi les ONG étrangères, le gouvernement du Burundi a-t-il voulu réaffirmer sa souveraineté?
* Travailleuse humanitaire/PHD, chercheuse.