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Ouvrir les portes aux énergies polluantes?

Christian Brunier, directeur des Services industriels de Genève (SIG), s’élève contre le projet de libéralisation totale du marché de l’électricité en Suisse, actuellement en cours de consultation.
Energie

La Suisse veut libéraliser totalement le marché de l’électricité, actuellement dérégulé pour les grands consommateurs seulement. C’est dans ce sens que le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de loi sur l’électricité. Pourquoi libéraliser ce marché? Avant de passer, ou pas, à l’action, il est intéressant de se pencher sur les gains présumés d’une telle mutation.

• Pour favoriser les énergies renouvelables? Aujourd’hui, plusieurs pays européens produisent des énergies fossiles, dangereuses et polluantes, à base surtout de nucléaire ou de charbon. Ces énergies, en fin de vie, sont vendues à prix bradés sur les bourses énergétiques. Ouvrir le marché, c’est ouvrir en grand les portes de la Suisse à ces productions néfastes, que la population ne veut plus. C’est aussi livrer les producteurs et distributeurs d’énergies renouvelables, comme SIG, à une concurrence déloyale. Et ce ne sont pas les certificats de compensation CO2, bien trop bon marché, qui protégeront notre santé des énergies néfastes. Comme le dit, si bien, François Vuille, directeur exécutif du Centre de l’énergie de l’EPFL: «A court terme, la libéralisation favorisera le charbon.»

• Pour provoquer une baisse des prix? Les idéologues pro-libéralisation l’ont toujours affirmé. Cependant, ces belles promesses ne se constatent pas sur le marché européen, libéralisé depuis longtemps. Le Conseil fédéral, par la voix de Doris Leuthard, ne promet plus rien, lâchant: «La révision n’a pas pour but de faire baisser les prix.»

De plus, il faut se rappeler que seul le coût de l’électron serait libéralisé, ce qui représente une petite partie de la facture énergétique. Pour une famille, si des vendeurs d’électricité cassaient les prix, l’économie serait de quelques francs par mois, l’équivalent d’un ou deux cafés au resto. Mais ces baisses de tarifs ne sont pas durables, les prix tendent à remonter au bout de quelques années. Cela a été constaté sur le marché européen.

• Pour conserver un accès au marché européen de l’électricité? C’est ce que prétendent les autorités fédérales, menaçant que la non-ouverture totale du marché de l’électricité pourrait casser les accords bilatéraux avec l’Union européenne. Ce chantage à l’isolement international n’est pas crédible. La Suisse vend de l’électricité, à certaines heures, à ses voisins. Puis, c’est l’inverse. Cet échange est indispensable pour l’approvisionnement de tous ces pays et intéressant financièrement pour toutes les parties. L’entente sur la question est déjà une réalité, elle s’impose! Toute menace de rupture n’est que baliverne, vu les intérêts en jeu.

• Pour créer de l’emploi? La Suisse dépense 10 à 15 milliards de francs par an pour acquérir des énergies fossiles, souvent dans des pays n’étant pas des modèles en termes de démocratie. Développer les énergies renouvelables et locales maintiendrait une partie de cette somme colossale dans notre pays et créerait de nombreux emplois de proximité. SIG joue à ce titre un rôle pionnier, en produisant et en distribuant de l’électricité 100% renouvelable.

Juste du dogmatisme… Lorsqu’une idée ne favorise ni l’environnement, ni l’économie, ni l’emploi et le social, elle se situe clairement à contre-courant du développement durable. Elle se résume à un acte dogmatique. Dans ce contexte, une opposition au projet de loi en consultation s’impose!

L’auteur est directeur général de SIG (Services industriels de Genève).

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