Histoire

Ces firmes qui roulaient pour Hitler

Durant la guerre, GM, Ford ou encore Renault fournissaient la Wehrmacht en véhicules militaires.
Ces firmes qui roulaient pour Hitler
Version restaurée d’un camion Ford V 3000 S. DR/Deutsches Bundesarchiv
Nazisme

On sait l’intérêt qu’Adolf Hitler accordait à l’automobile pour relancer la machine industrielle allemande et redorer le blason d’un pays sorti exsangue de la Première Guerre mondiale. En février 1933, à peine devenu chancelier, il déclare, lors de l’inauguration de l’Exposition internationale des automobiles à Berlin, que la voiture est «l’industrie la plus importante de l’avenir», rappelle l’historien Ian Kershaw1>Ian Kershaw, Hitler, 1889-1945, Editions Flammarion, 2008..

Dans ses rêves de suprématie technique, Hitler est royalement servi par Ferdinand Porsche. Créateur de la légendaire Flèche d’argent, qui a dominé tous les Grands Prix entre 1934 et 1939, ce talentueux ingénieur est également le concepteur de la «voiture du peuple», la fameuse Coccinelle Volkswagen produite dès 1938.

Ce que l’on sait moins, c’est que le Führer, qui avait fait du réarmement sa priorité, a aussi pu compter sur le zèle et la complicité de plusieurs constructeurs automobiles étrangers, séduits par le national-socialisme, pour approvisionner et entretenir son parc militaire avant le conflit et durant pratiquement toute la Seconde Guerre mondiale.

Camions Opel Blitz

Ainsi, le principal véhicule de transport de la Wehrmacht était le camion Opel Blitz, produit en Allemagne par l’américain General Motors (GM), qui avait racheté l’entreprise des frères Opel lors de la crise de 1929. Environ 80 000 exemplaires ont été construits entre 1937 et 1944 dans différentes versions: fourgon de transport de troupes et de ravitaillement, PC mobile, ambulance, camion-citerne ou encore camion-atelier. Certains modèles étaient dotés de quatre roues motrices, plus efficaces sur le terrain, en particulier durant la raspoutitsa, la «saison des mauvaises routes» sur le front soviétique.

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Un Maultier Opel Blitz en 1942. Ses roues arrière sont remplacées par un train de chenilles de Panzer entraîné par le pont arrière. DR/Deutsches Bundesarchiv

Très résistants, les Opel Blitz produits dans l’usine de Brandebourg servaient aussi de base pour la construction de camions semi-chenillés, les Maultier, qui pouvaient être blindés et équipés de canons Flak ou de lance-fusées Nebelwerfer. De tels tout-terrain, mis au point surtout après l’invasion de la Russie en juin 1941, ont aussi été réalisés avec des châssis de camions Ford et Mercedes-Benz.

Aux Etats-Unis, le patron de GM William Knudsen admirait Hitler, le qualifiant de «miracle du XXe siècle», explique l’historien belgo-canadien Jacques Pauwels dans un ouvrage sur les Etats-Unis et la Deuxième Guerre mondiale2>Jacques Pauwels, Le mythe de la bonne guerre – Les Etats-Unis et la Deuxième Guerre mondiale, Ed. Aden, 2005. Ed. revue et augmentée, 2017.. Il faut dire que depuis l’arrivée au pouvoir du Führer, la filiale allemande était devenue extrêmement rentable. En 1939, grâce aux commandes de la Wehrmacht, sa valeur avait plus que doublé par rapport à l’investissement initial.

Assemblage d’avions

Durant la guerre, GM participe à l’effort de guerre américain, devenant un important fabricant de fournitures militaires pour les Alliés, des avions jusqu’aux chars d’assaut. Sa filiale allemande Opel reste cependant au service des nazis et est même jugée «exemplaire» par Berlin.

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Une ligne de fabrication de bombardiers Junkers Ju 88, en 1941. DR/Deutsches Bundesarchiv

Opel ne se contente pas de fournir des camions. Son usine de Rüsselsheim assemble des avions tels que le bombardier Junkers Ju 88, l’appareil le plus polyvalent de la Luftwaffe. Et conjointement avec l’américain Standard Oil of New Jersey et l’allemand IG Farben, elle livre des composants synthétiques pour carburants d’avion. Les coûts salariaux sont réduits grâce à l’incorporation de prisonniers de guerre et de déportés, astreints à travailler jusqu’à 66 heures par semaine. Opel contribuera plus tard volontairement au fonds du Gouvernement allemand pour le dédommagement des travailleurs forcés. En 2017, l’entreprise a été rachetée par le groupe PSA.

Ford dédommagé

L’entrepreneur Henry Ford, également sympathisant d’Hitler (lire ci-dessous), a fourni pour sa part des camions, utilitaires lourds et semi-chenillés produits dans l’usine Ford-Werke à Cologne. Le site de Poissy, en France, produisait aussi pour le Reich. Le groupe américain participait parallèlement à l’effort de guerre allié. Ce double jeu l’a forcé à changer son logo en Allemagne nazie pour arborer sur les calandres un profil de la cathédrale de Cologne. Ford exploitait aussi des travailleurs forcés. En 1998, une survivante d’origine russe qui travaillait dans l’usine «sans salaire, avec à peine de quoi manger», a porté plainte. Ford a prétendu n’avoir eu aucun contrôle sur sa filiale à l’époque, selon Libération. Après la guerre, l’entreprise a reçu, tout comme Opel, des compensations de l’Etat américain pour les bombardements subis.

Renault impliqué

Tout comme ses confrères américains de l’époque, Louis Renault a joué sur les deux tableaux, fournissant l’armée française mais réparant des chars allemands sous le régime de Vichy. Il soutiendra la thèse de la réquisition allemande mais sera arrêté comme collaborateur et mourra en prison. Les historiens restent divisés s’agissant de son cas. L’entreprise a été nationalisée en 1945 puis privatisée en 1996.

Henry Ford, la face sombre d’un grand patriote

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DR

En 1938, l’ingénieur, inventeur et homme politique Henry Ford, qui s’était inspiré du taylorisme pour rationaliser et standardiser la production automobile dans sa société Ford Motor Company, reçut la Grande-Croix de l’ordre de l’Aigle allemand, la plus haute décoration nazie pour un étranger (photo DR). Si cette distinction, créée par Adolf Hitler, a suscité une controverse aux Etats-Unis, au point de provoquer un échange de notes diplomatiques entre Berlin et Washington, ce n’est pas en raison de sa coloration fasciste, mais parce que l’industriel était l’auteur d’écrits antisémites et qu’il soutenait financièrement le parti nazi.

En 1927, Ford avait publié l’ouvrage Le Juif international, compilation d’articles publiés dans The Dearborn Independent, un journal qu’il avait acquis en 1920. Il y accusait en particulier les Juifs d’avoir déclenché la Première Guerre mondiale, mêlant son antisémitisme à de l’anticommunisme crasse. Son idéologie, mais aussi ses thèses sur l’organisation du travail, lui avait valu toute la considération d’Hitler. En 1931, le futur chancelier du Reich affirmait d’ailleurs, dans Detroit News: «Je considère Henry Ford comme une inspiration.» Cette sympathie réciproque explique peut-être pourquoi ce grand patriote, qui s’était consacré à l’effort de guerre allié en construisant bombardiers, Jeeps, moteurs d’avions et chars de combat, avait laissé ses usines de Cologne et Poissy produire un grand nombre de véhicules pour la Wehrmacht. PFY

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