Chroniques

«Circulez, il n’y a rien à voir»

AU PIED DU MUR

La tuerie dans la synagogue Ets Haim de Pittsburgh a révélé ce que les dirigeants israéliens refusent de voir: aux Etats-Unis, l’antisémitisme est omniprésent. Ce fait devrait être évident pour quiconque est conscient du poids de la droite chrétienne dès qu’on s’éloigne des côtes occidentales et orientales du pays. Les Etats-Unis, ce n’est pas seulement New York et San Fransisco, c’est aussi le Midwest et le Deep South. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de visiter cette Amérique-là, et il m’est arrivé d’y palper l’atmosphère de certaines contrées européennes du début du XXe siècle, avec leur lot de préjugés, de racisme, d’ignorance du monde et l’omniprésence de la religion – ou plutôt des religions – qui n’ont pas encore connu Vatican II.

Bigotisme et fanatisme religieux sont des corollaires du renforcement de la droite. Même si Donald Trump ne croit en rien si ce n’est en lui-même, sa présidence a renforcé la visibilité des courants chrétiens fondamentalistes et l’activisme des ligues fascistes chrétiennes. Les supporters les plus dévoués à Trump comptent dans leurs rangs des néonazis et antisémites notoires; et le président se garde bien de prendre ses distances avec cette peste brune. Et que fait Benjamin Netanyahou, d’ordinaire si prompt à débusquer l’antisémite derrière quiconque dénonce sa politique? Le silence radio. A droite, c’est-à-dire dans le camp de ses amis, il n’y a pas plus d’antisémites chez les Autrichiens du FPÖ, chez le Hongrois Viktor Orban, que dans l’entourage de Trump. Pis, sous la pression du premier ministre polonais, Tadeusz Morawiecki, ce «Juif fier» – comme aime à s’autoqualifier le premier ministre israélien – a, dans une déclaration officielle, dédouané la Pologne pour sa participation au génocide juif pendant la Seconde Guerre mondiale, provoquant une réponse cinglante du mémorial israélien Yad Vashem, qui n’a pourtant rien d’une officine islamo-gauchiste.

Comme le dit mon ami Sergio, pour Netanyahou, l’antisémitisme c’est comme le cholestérol: il y a le bon et le mauvais. Les bons antisémites sont ceux avec qui il partage les mêmes valeurs et les mêmes combats – en général un antisémitisme qui plonge ses racines dans la culture chrétienne –; les mauvais antisémites, eux, sont ceux qu’il faut combattre – les militants et intellectuels antiracistes européens, souvent juifs eux-mêmes, et bien évidement tous les musulmans sans exception… à part, peut-être, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman.

Aujourd’hui, l’Europe occidentale est, à l’inverse de l’Europe centrale et orientale, globalement perçue par la droite israélienne comme une terre antisémite, non pas par son histoire, mais à cause de son «islamisation» liée aux vagues d’immigration venues du sud.

On peut parier que Netanyahou ne sautera pas dans le premier avion pour appeler les juifs à quitter les Etats-Unis, comme il l’avait fait après les attentats antisémites de Copenhague et de Paris. Pour le premier ministre israélien, les Etats-Unis de Trump sont un Etat presque parfait, immunisé contre tous les maux, y compris toutes les formes de racisme… sauf anti-musulman ou anti-immigré. Mais ça, comme dirait Sergio, c’est du bon cholestérol…

Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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