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Eclaircie en Asie

Il y a de sérieuses raisons de croire en une prochaine réconciliation des deux Corées, analyse Serge Halimi. Explications.
Extrême-Orient

Il existe un pays où, à la différence de ce qui se passe au Brésil, ce sont d’anciens présidents conservateurs que la justice poursuit, condamne pour détournement de fonds et envoie en prison. Où droite, extrême droite et fondamentalistes protestants s’estiment trahis par M. Donald Trump. Où, loin de remettre en cause un accord de désarmement nucléaire, comme avec l’Iran, ou un traité sur les missiles à moyenne portée, comme avec la Russie, le président des Etats-Unis semble vouloir résoudre un conflit qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait su dénouer. Y compris le dernier, pourtant Prix Nobel de la paix.

Sans doute la chose se passe-t-elle en Extrême-Orient, sans doute est-elle trop compliquée pour prendre sa place dans le grand récit manichéen qui forme et déforme notre regard sur le monde. Cependant, la situation planétaire étant fort sombre, le discours volontariste et optimiste du président sud-coréen Moon Jae-in n’aurait pas dû passer inaperçu. Le 26 septembre dernier, devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, il lançait: «Un miracle a eu lieu dans la péninsule coréenne.»

Un miracle? Un retournement complet, en tout cas. Nul n’a oublié la volée de tweets rageurs qu’échangeaient il y a un an seulement M. Trump et le président nord-coréen — «le feu et la fureur», le «gros bouton» nucléaire, etc. L’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Mme Nikki Haley, vient même de confier que, le 2 septembre 2017, afin de presser Pékin d’agir auprès de son voisin et allié, elle avait agité devant son homologue chinois la menace d’une invasion américaine de la Corée du Nord. Dorénavant, M. Trump salue le «courage» du président Kim Jong-un, un «ami». Et, lors d’un meeting républicain, il a même prétendu éprouver pour lui de l’«amour»!

Les Coréens, au nord comme au sud, profitent de cet alignement des astres pour avancer à marche forcée: la droite sud-coréenne est en lambeaux; le régime de Pyongyang semble enfin privilégier le développement économique du pays. Vilipendée par les démocrates et par les médias américains en raison de son rapprochement, jugé imprudent, avec la Corée du Nord, la Maison Blanche n’admettra pas volontiers que le maestro autoproclamé de l’«art du deal» ait été roulé par plus roué que lui. De toute façon, si les Etats-Unis choisissaient d’en revenir au «feu» et à la «fureur», la dégradation rapide de leurs relations avec la Chine et la Russie interdirait presque à Moscou et Pékin d’emboîter à nouveau le pas à Washington.

Dans ce tableau général, le désarmement nucléaire de la Corée ne doit pas devenir un préalable à la réalisation des autres volets de la négociation: suspension des manœuvres militaires de part et d’autre, levée des sanctions économiques, traité de paix. Car Pyongyang ne renoncera jamais à son assurance-vie sans de solides garanties: M. Trump n’est pas éternel, la clémence de ses sentiments non plus… Une raison supplémentaire, fût-elle paradoxale, d’être optimiste quant au règlement dans les prochains mois d’un conflit qui dure depuis trois quarts de siècle.

Paru dans Le Monde diplomatique de novembre 2018, www.monde-diplomatique.fr

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