Ecrivains africains, expatriés ou au pays?
De nombreux écrivains d’origine africaine vivent en Europe ou aux Etats-Unis, et ne retournent dans leur pays d’origine que pour des vacances, se ressourcer, rassembler le matériel de leur prochain livre. Avant de faire le tour des médias de l’Hexagone pour en assurer la promotion, avec quelques incursions à Genève, Bruxelles ou Montréal.
Mais d’Afrique, point, ou si peu. Il y a certainement une foultitude de bonnes raisons au choix de résider la majeure partie du temps à l’étranger: tensions politiques, entraves à la liberté d’expression, difficultés à vivre de sa plume, maisons d’édition nationales à diffusion limitée, éloignement des maisons d’édition et médias «internationaux»…
Loin de moi l’idée de porter un jugement sur ces choix de vie personnels. Reste que j’ai repensé dernièrement aux stars de la littérature africaine en participant à un bijou de petit festival littéraire, le Festival Efrouba du livre de Grand-Lahou, qui se déroulait début octobre dans la ville du même nom, située à 150 km d’Abidjan.
Fruit de l’engagement d’un petit groupe d’écrivains ivoiriens, originaires de la région, ce festival, qui en est à sa 4e édition, séduit par sa convivialité, le plaisir et la disponibilité des uns et des autres à partager sans compter leur humour, leurs talents d’écrivains et de conteurs avec le public, et tout particulièrement avec les nombreux jeunes qui se sont pressés aux diverses activités organisées dans la ville.
« On se serait cru au village »
Comme la Nuit du conte au flambeau, qui a réuni des conteurs de talent, tels qu’Alexis Djisso, Koffi Koffi, Niamkey Atchekan ou encore Mamadou Samb du Sénégal, un événement qui illustre parfaitement cet état de grâce. Imaginez, à la nuit bien tombée, un espace entre quelques petits immeubles du centre-ville, au cœur duquel un feu a été allumé. Tout autour du feu, un public nombreux, parmi lequel beaucoup de jeunes, vibre, rit, commente, répond aux devinettes qui précèdent les contes, réagit aux proverbes. Les enfants, ravis, écoutent ces histoires éternelles, qui fleurent bon la tradition, dont la pertinence résonne toujours aujourd’hui. Le public de tous âges est resté jusqu’aux douze coups de minuit, alors que les flammes du feu commençaient à se faire moins vives. On se serait cru au village.
Du coup, en voyant ces hommes et ces femmes donner bénévolement de leur temps pour partager leur passion, je n’ai pas pu m’empêcher de faire un parallèle avec les nombreux écrivains, originaires du continent africain, qui tournent comme des toupies en Europe, mais sont rarement dans leur pays d’origine. Personnellement, j’avoue saturer face à l’omniprésence d’un Alain Mabanckou, au look très étudié, sur tous les plateaux télé, dans tous les médias et cercles littéraires pour la promotion de son dernier livre; mais jouant aussi parfaitement son rôle d’Africain de service, porte-parole d’un continent sur lequel il ne promène guère son chapeau et ses vestons bariolés. Et pas non plus dans son pays d’origine, le Congo-Brazzaville, où il est, affirme-t-il, «interdit de séjour depuis cinq ans», ce que conteste toutefois le ministre congolais de la Justice.
Soif d’entendre et d’apprendre
Loin de toute polémique, à lui et à ses collègues, j’ai envie de dire, à mon modeste niveau: vous qui avez un tel attachement à l’égard de votre pays d’origine et de votre continent, vous qui savez parfaitement à quel point les élèves et étudiants en Afrique sont privés de nombreuses opportunités, manquent de tout, prenez le temps d’aller les voir régulièrement, pensez à eux qui ont une telle soif d’entendre, d’apprendre, de se confronter à des modèles valorisés et valorisants, de croiser le fer avec des «grands frères» et «grandes sœurs» au bénéfice d’un beau parcours. Plutôt que de bercer de votre art oratoire, de votre brillante pertinence, encore et toujours un public français et européen déjà tellement privilégié, au bénéfice d’une offre culturelle d’une richesse inouïe.
Catherine Morand est journaliste.