Trop peu d’impôt tue l’impôt
La RIE III (troisième réforme de la fiscalité des entreprises) était qualifiée de mère de toutes les batailles par l’ancien conseiller d’Etat François Longchamp; sa fille, la RFFA (réforme fiscale et de financement de l’AVS), est plus prosaïquement qualifiée de «réforme déterminante pour Genève».
Le Gouvernement genevois a déposé mercredi son projet de loi visant à concrétiser la réforme fédérale au niveau cantonal. Les changements sont modestes. Il s’agit d’amendements à la loi d’application de la RIE III, gelée en commission fiscale du parlement genevois. Point central du dispositif: le taux d’imposition unique – la loi vise à mettre fin aux statuts spéciaux qui valent à la Suisse l’opprobre de l’OCDE et de l’Union européenne – est prévu à 13,79%, soit un peu plus que ce qui était imaginé dans la loi cantonale de mise en œuvre de la RIE III, où il était de 13,49%. Proche du taux d’imposition des Vaudois, qui ont d’ores et déjà mis sous toit de manière préventive leur propre loi.
Avantage: cela laisse une marge de manœuvre au Grand Conseil, qui va maintenant se saisir de l’objet pour tenter de négocier un consensus, par exemple en portant le taux à 13,99%, comme l’évoquent discrètement certains membres du Parti libéral-radical qui ont le sens du rapport de force.
Reste que le plan actuel creuserait un sacré trou dans les caisses de l’Etat. Le manque à gagner prévu est de 653 millions de francs, certes compensé par quelques rentrées. Mais, in fine, il manquera toujours 434 millions pour les deniers publics si les calculs à la louche de l’Hôtel des finances se révèlent exacts. Dans ce domaine, on a généralement des mauvaises surprises, comme avec la RIE II qui devait coûter 80 millions au niveau national et où la facture finale s’est révélée être plus proche des 2,2 milliards de francs par an.
Inquiétant: on ne sait toujours pas comment ce manque à gagner sera compensé. La question de fond n’a pas bougé d’un iota. Sous prétexte de vouloir retenir des entreprises actives dans le trading ou la finance, les autorités fédérales et cantonales s’apprêtent à alléger la charge fiscale globale des personnes morales.
Une décision qui va à rebours du bon sens et sape le rôle redistributeur de l’impôt. Car ce qui sera perdu en termes de ressources de l’Etat devra être compensé. Soit en diminuant les prestations – ce qui frappera d’abord les revenus modestes, à qui on demandera de fournir un effort, et touchera la fonction publique –, soit en taxant le revenu des personnes physiques, probablement via la TVA qui est un impôt injuste. La revendication élémentaire d’une neutralité fiscale de cette réforme reste plus que jamais d’actualité, comme le suggère l’initiative populaire «Zéro Perte».