Tabagisme: le bonnet d’âne de la Suisse!
La lutte contre le tabagisme est une priorité de santé publique reconnue depuis longtemps partout dans le monde et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en a fait un programme phare. Le tabac tue plus de 7 millions de personnes par an − 6 millions de fumeurs actifs et un million de fumeurs passifs −, soit 44 % des décès dus à des maladies non transmissibles (MNT). Sans sous-estimer les différents types de cancers apparentés, la consommation de tabac est l’une des principales responsables des maladies cardiovasculaires, la majeure cause de décès dans les MNT (qui, soit dit en passant, représentent une très grande part des coûts de santé en Suisse).
Depuis 2007, les mesures de prévention proposées par l’OMS, même appliquées de manière partielle, ont permis de contenir «l’épidémie de fumeurs». La stratégie repose sur six axes: la surveillance de la consommation (encore presque inexistante en Afrique), la création d’espaces non-fumeurs, les programmes de sevrage du tabac, la mise en garde sur les paquets de cigarettes couvrant au moins le 75% de la surface et sans publicité (paquets neutres), l’interdiction de la publicité et du sponsoring et l’introduction de taxes. Pourtant, les objectifs d’une réduction drastique de 30% d’ici à 2025 ne seront vraisemblablement pas atteints. Plus de 80 % des fumeurs vivent dans des pays à bas ou moyen revenu, ce qui démontre l’incidence de ce fléau dans les économies les plus fragiles du monde, où la prise de conscience du risque du tabagisme n’est pas acquise.
Qu’en est-il en Suisse?
Contrairement à l’Australie − qui a suivi les recommandations de l’OMS de manière stricte −, la Suisse peine à voir son taux de fumeurs passer au-dessous des 25% selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui se base sur des enquêtes populationnelles, soit 6 milliards de cigarettes fumées par année. Or, une étude de l’université de Neuchâtel a montré que les près de 10 milliards de cigarettes vendues correspondraient à une proportion de fumeurs plus proche de 35%. L’OFSP a reconnu que sa méthode pouvait avoir un biais − rencontré dans d’autres pays −, parce que les gens qui répondent ont tendance à minimiser leur consommation! Comment expliquer le manque d’efficacité de la lutte contre le tabagisme en Suisse, malgré l’introduction de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les taxes sur le tabac et les programmes de sevrage bien menés par les soignants?
En matière de lutte contre le tabagisme, la Suisse fait rarement figure de bon élève. Elle arrive en 21e position (sur 35) du classement européen établi par l’Association des ligues européennes contre le cancer. La Suisse − siège de l’OMS!− est l’un des derniers pays à n’avoir pas signé la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac de 2003, ratifiée par 180 Etats représentant le 90% de la population mondiale. Et pourtant c’est à Genève que se signera en octobre un protocole d’accord contre le commerce illicite des cigarettes, qui devrait permettre un contrôle de la chaîne des produits du tabac avec l’élaboration d’un système de traçabilité de tous les composants: un pas important dans la lutte contre le tabagisme auquel la Suisse ne participera pas.
En effet, le parlement fédéral a refusé un projet de loi sur le tabac qui voulait entre autre interdire la publicité en 2016. Il a renvoyé le projet au Conseil fédéral et les services de M. Berset ont proposé de supprimer les interdictions de publicité dans les cinémas, par voie d’affiches et dans la presse! Malgré tout, la droite du parlement − PLR en tête − ne veut pas de cette loi. D’ailleurs, ce parti avait refusé la loi sur la prévention et la promotion de la santé, mais serait tenté de pénaliser les fumeurs, responsables − à ses yeux − de leur potentielle atteinte à la santé, comme l’a proposé un parlementaire.
Il faut rappeler que la Suisse est la patrie des multinationales du tabac puisque 3 sur 4 qui contrôlent le 80% du marché ont leur siège en Suisse.
L’OMS laisse bien entendre que l’un des principaux facteurs entravant les efforts dans la lutte contre le tabac des pays à faible et moyen revenu est «l’industrie du tabac avec sa promotion agressive, en particulier auprès des jeunes, et ses efforts continus pour dissimuler les dangers du tabagisme».
En Suisse aussi, et ce lobby à Berne est suffisamment fort pour entraver de manière frontale les efforts pour trouver des solutions à ce problème majeur de santé publique.
N’est-ce pas une honte?
*Dr Bernard Borel, pédiatre