Un nouveau Nuremberg pour les déchus de Daech?
A l’heure où le pseudo califat de l’Etat islamique (EI) est chassé des ruines irakiennes et syriennes, la question de que faire de ses revenants est récurrente. En premier lieu, on s’accorde sans problème sur le fait que chaque cas doit être traité individuellement. Ce qui, même avec la force de l’Etat de droit, n’est pas une sinécure.
En février dernier, le Courrier international rappelait que selon les chiffres officiels, ceux d’octobre 2017, au moins 2000 anciens membres de l’organisation criminelle étaient rentrés en Occident. Sans compter ceux qui n’ont pas été repérés. Ces chiffres sont autant difficiles à estimer qu’à interpréter. Et on ne peut exclure que les personnes qui sont rentrées antérieurement aient fait des émules. Plus déconcertant encore, ce sont les comptages très approximatifs de chacun des Etats concernés.
L’important est alors de savoir comment traiter ces cas. Pour le Comité international de la Croix-Rouge, il ne faut pas déclencher de surenchère et traiter tous les individus ainsi que leurs familles humainement et dans le respect du droit international. L’effort devant porter sur leur «réintégration».
Ce qui contraste avec les déclarations du ministre de la Défense britannique, Gavin Williamson, dans les colonnes du tabloïd Daily Mail: «Un terroriste mort ne peut pas nuire au Royaume-Uni.» Il ajoute: «Je pense qu’aucun terroriste ne devrait jamais être autorisé à revenir. Nous devons tout faire pour détruire et éliminer cette menace.» Le problème, comme disait Gandhi, c’est si: «Œil pour œil, nous serons tous aveugles».
Dans les Balkans, en particulier au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine – deux pays à majorité musulmane –, c’est la prison qui est prévue pour un à cinq ans. Avec un important effort financier consenti par l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) en faveur de programmes de resocialisation. Une fois la peine terminée, pour éviter une nouvelle radicalisation.
Au Danemark et en Belgique, c’est une politique de la deuxième chance qui prévaut. Tendre la main, éduquer et comprendre sont les maîtres mots. Pour l’instant, cela semble réussir.
Alors qu’en Allemagne, on assiste à la fin de la tolérance: «Pour nous, à partir de maintenant, qui est allé rejoindre l’EI en est aussi membre», résume un procureur. Pour sa part, le quotidien Der Spiegel précise que tout membre d’une organisation terroriste qui rentre en Allemagne risque une peine de prison allant jusqu’à dix ans. Rappelons que la patrie de Merkel s’était jusqu’ici montrée très compréhensive, particulièrement avec les femmes et les mères parties rejoindre leurs compagnons djihadistes. Jusqu’à l’instant où quelques arrestations sur place, notamment en Irak, démontrent la nature criminelle de certaines de ces Allemandes.
Quant à la France, pays européen comptant le plus grand nombre de compatriotes ex-membres de Daech, elle se trouve en première ligne dans la gestion des «revenants». Pourtant, elle n’a toujours pas une ligne claire. Certes, elle n’est pas la seule. Pour l’heure, les Français détenus sur sol irakien ou syrien font tous l’objet d’un mandat d’arrêt, indique le procureur de Paris, François Molins. Pour autant, le super magistrat précise que les ressortissants de l’Hexagone ont été arrêtés dans le cadre d’un conflit armé et que les pays dans lesquels ont été commises des exactions ont eux aussi un droit légitime à les juger. Sauf en cas de peine de mort – on pense, en particulier, à cette djihadiste allemande qui a été récemment condamnée à mort à Bagdad –, la ministre de la Justice française, Nicole Belloubet, assure que dans ce cas Paris interviendrait. Quant aux autres? Ceux qui sont déjà rentrés dans l’Hexagone? Certaines personnes ont été jugées. D’autres sont encore libres, bien que surveillées par les services de renseignements. Et d’autres encore font l’objet d’un suivi judiciaire en milieu ouvert.
On le voit, ce dossier cornélien appert, pour l’heure, insoluble. Sans évoquer les voisins méditerranéens comme par exemple la Tunisie. Cette dernière a encore déclaré ne pas être prête et ne pas vouloir le retour de ses nationaux djihadistes.
Finalement et au vu de ce qui précède, la piste à explorer ne serait-elle pas de centraliser tant les investigations que les poursuites pénales sous l’égide d’un organisme supranational? Ce qui s’est passé sur les territoires du Levant depuis 2012 est, osons l’affirmer, un crime contre l’humanité. Nos démocraties et le monde en général doivent peut-être passer par un nouveau procès de Nuremberg. Il en va de la survie de l’Etat de droit.
* Conseiller financier indépendant à Lausanne, ancien secrétaire du PDC Vaud.