Chroniques

Le nez dans le guidon

A rebrousse-poil

Dans les environs de l’an 100 après Jésus-Christ…

L’empire romain, à son apogée, s’étend de la mer Caspienne au Portugal, de l’Angleterre à l’Egypte. Quelque part dans cet immense territoire, un homme ordinaire. Ou une femme. Bref, un humain.

Intégré dans son environnement, pris par son quotidien, il est tout à fait improbable qu’il réalise que son mode de vie disparaîtra un jour. Joignant sa voix à celle des puissants de l’époque, il traitera de dément celui qui se risquera à prédire la fin – même lointaine – de la civilisation latine! Il peut être défavorisé, esclave, barbare, ou citoyen de seconde zone, l’organisation de la société lui paraîtra pourtant être de l’ordre du normal, de l’inéluctable, et il y a fort peu de chances pour qu’il conçoive qu’un jour son univers s’écroulera. Et moins encore pour qu’il imagine celui qui le remplacera. Infime partie d’une machine dont les rouages paraissent bien huilés, il ne voit pas plus loin que la pointe de ses sandales. Il est comme le poisson «qui vit dans la mer sans savoir la mer» 1>Nazim Hikmet.

Aujourd’hui…

Le capitalisme triomphe sur la terre entière. Sûr de lui, il n’a plus besoin de se montrer arrogant, non! Il est là, tout puissant, tranquille, établi – l’on en croit ceux qui l’adulent, le promeuvent et en tirent avantage – jusqu’à la fin des siècles. L’humain ordinaire, vous, moi? Baigné dans l’air du temps, abasourdi par la propagande rabâchée dans la quasi totalité des médias, il aura bien de la peine à entrevoir, pour demain, autre chose que la continuation du règne sans partage de la course au profit. Tout concourt à ce qu’il se taise et se résigne.

Nous serions donc condamnés à voir se perpétuer le pillage de la planète, l’enrichissement inimaginable de quelques bandits, la condamnation à l’agonie, sans appel, de millions d’enfants, la famine et la misère, sorcières noires, pour des milliards de nos pareils? Décervelés, abrutis, mais repus, nous n’aurions pas d’autre choix que d’accepter l’horreur?

Non pas le regard fixé sur le bout de nos caligae, mais le nez dans le guidon…

Et voilà qu’en une petite centaine de pages, un livre tout neuf fait prendre de la hauteur et offre une bouffée d’oxygène: Le capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu’elle en verra la fin) de Jean Ziegler! Implacable, documenté, il rappelle toutes les évidences qu’année après année le matraquage néolibéral tente de reléguer à l’arrière-plan.

Non, le capitalisme n’est pas la conséquence d’une «loi naturelle»! C’est bel et bien un système imaginé par des hommes, qui a ses apôtres et ses hordes de mercenaires. Il a prospéré sur le fumier de la traite négrière, ne recule jamais devant aucune forfaiture pour conforter son règne, et se perpétue grâce à l’aliénation des individus.

Non, l’égoïsme, le chacun pour soi ne sont pas constitutifs de la nature humaine! Ceux qui le prétendent espèrent ainsi justifier leur accaparement du pouvoir et leur mépris à l’égard des plus faibles.

Oui, la dette – plus du tout justifiable aujourd’hui – saigne les pays pauvres qui, moribonds, sont achevés par les haïssables fonds vautours.

Oui, les indéniables progrès de la science et de la technique ne profitent qu’à une minorité, tandis que la majorité plonge dans la précarité.

On ne peut pas espérer aménager ce système cannibale, conclut Ziegler, il faut lui briser les bras. Et les fissures dans la muraille grandissent de jour en jour!

Une lumière, une fenêtre ouverte sur l’espoir…

Notes[+]

Nouveau roman: Retour à Cormont, Ed. Bernard Campiche, avril 2018.

Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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