Weinstein et l’Irlande
C’est l’une des législations les plus restrictives d’Europe qui vient de subir la loi des urnes. Plus de deux tiers des Irlandais (66,4%) – un résultat inattendu – ont accepté de dépénaliser l’avortement. Le résultat est d’autant plus parlant que la participation a été importante, en particulier chez les jeunes. Et que les analyses ne montrent de fossé ni entre les villes et les campagnes, ni entre les hommes et les femmes. Elles pointent en revanche un décalage entre citoyens et institutions. L’Eglise est d’ailleurs restée discrète: des scandales à répétition entachent lourdement son image, et donc son influence. Cette fin de semaine, l’Irlande s’est réveillée plus respectueuse – des femmes –, émue, et avec le sentiment d’être entrée dans l’Histoire.
Celle-ci, pourtant, n’est jamais définitivement écrite. Et malgré les formidables avancées obtenues par les femmes dans les années 1970 – les commémorations de Mai 68 le rappellent – rien n’est acquis. La liste est longue des pays où l’évolution néoconservatrice tente de reprendre la main sur le corps des femmes, ce bien qu’on croirait public… Outre les trois pays européens qui interdisent toujours toute forme d’avortement (Malte, Chypre et Andorre), la Pologne, qui ne l’autorise qu’en cas de malformation de l’enfant, tente de supprimer encore cette exception. Ce n’est que grâce à l’opposition vigoureuse des femmes qu’un durcissement a été évité.
D’autres droits ont néanmoins déjà régressé: l’éducation sexuelle à l’école disparaît, la pilule du lendemain est délivrée uniquement sur certificat médical. Plus près de nous, l’Italie: 70% des médecins refusent d’y pratiquer les avortements, ce qui mène de fait à des grossesses forcées. Ailleurs, le ventre des femmes apparaît comme une simple variable d’ajustement économique: en Hongrie, la volonté de Viktor Orban de relancer la natalité et de stopper l’immigration menace les droits de celles-ci.
De l’autre côté de l’Atlantique, à New York, le producteur Harvey Weinstein était inculpé vendredi de viol et agression sexuelle. Quel rapport avec l’Irlande? Celui-ci: cette affaire raconte elle aussi, comme l’interdiction de l’avortement, une forme d’emprise inacceptable. Bien public ou variable économique, le corps des femmes est aussi un objet de prédation. L’avocat mandaté, qui fut celui de Dominique Strauss-Kahn en 2011, pratique volontiers la décrédibilisation des victimes. Gageons que cette fois-ci, la tentative ferait long feu. La pugnacité a repris le dessus, suggère l’impressionnant mouvement #Metoo. Et le respect – des femmes – a progressé, prouve l’Irlande.