Contrechamp

Personnes trans*: bataille juridique

(3/4) Depuis septembre 2017, l’école genevoise cherche à mieux intégrer les enfants trans*. Au-delà d’autres initiatives cantonales de ce type, les personnes trans* résidant en Suisse restent toutefois confrontées à des barrières juridiques et sociales. En cause: le retard pris par le droit helvétique, qui peine à s’adapter à leurs réalités et à leurs besoins.
Personnes trans*: bataille juridique
Composante de la sphère privée, l’identité de genre est protégée en tant que droit fondamental dans la Constitution fédérale. Photo: le slogan «protégeons les enfants trans*», brandi dans le cadre de la marche annuelle Existrans en faveur des droits des personnes trans*, à Paris, le 21 octobre 2017. FLICKR/CC/AMANDA HINAULT
Law Clinic

Voilà bientôt un an que la Tribune de Genève annonçait un changement important pour les écoles genevoises: «un élève transgenre change de nom à l’école». Le canton de Genève avait en effet accepté pour la première fois d’utiliser le prénom choisi par un enfant trans*1>Le terme «personnes trans*» désigne toute personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe assigné à la naissance. L’astérisque vise à inclure toutes les personnes concernées, quel que soit leur parcours. (prénom d’usage) au sein de son établissement scolaire. Un protocole visant l’accompagnement des enfants trans* était alors à l’étude au sein du Département de l’instruction publique.

Depuis septembre 2017, les écoles ont accès à ce protocole. Selon ce dernier, les enfants trans* ont le droit d’être appelé-e-s par leur prénom d’usage. Par exemple, Thomas peut se faire appeler Paula si elle s’identifie comme une fille, bien que le sexe qui lui a été assigné à sa naissance soit masculin. Le changement se fait normalement lors de la rentrée scolaire, afin d’être préparé tant avec l’élève qu’avec ses enseignant-e-s. La classe bénéficie également d’une séance de prévention contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie.

De plus, parallèlement à la reconnaissance du prénom d’usage, la reconnaissance de l’identité de genre – soit le fait de s’identifier comme garçon, fille, les deux ou aucun des deux – peut se révéler importante dans de nombreux domaines de la scolarité. Par exemple, lorsque le sexe légal et l’identité de genre de l’élève ne correspondent pas, le sexe indiqué sur les listes de classe et la carte d’élève, ainsi que l’accès aux cours de sport s’ils sont non-mixtes, ou encore aux toilettes et vestiaires sont autant d’éléments qui peuvent s’avérer problématiques.

Bien que certaines études indiquent que la prise de conscience relative à l’identité de genre puisse s’initier vers l’âge de 3 ans et s’affirmer aux alentours des 8 ans2>Kennedy et Hellen, Transgender children: more than a theoretical challenge, 2010., il reste difficile de faire reconnaître son identité de genre à l’école. En droit néanmoins, l’enfant suffisamment mature pour comprendre ce que sa demande implique a le droit à ce que son école publique reconnaisse son identité de genre, par exemple en modifiant les listes de classe pour y faire figurer la mention «fille» plutôt que «garçon». Quand bien même les parents sont en charge de l’éducation de leur enfant et de son bon développement, leur opposition n’aura pas de conséquences. L’identité de genre est en effet une composante de la sphère privée, et est protégée à ce titre en tant que droit fondamental dans notre Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

D’autres droits fondamentaux sont également en cause, comme la protection de la santé physique et psychique. Une étude britannique de 2007 indique que 64% des hommes trans* et 44% des femmes trans* ont subi du harcèlement à l’école3>Whittle, Turner et Al-Alami, Engendered Penalties: Transgender
and Transsexual People’s Experiences of Inequality and Discrimination, 2007.
. Une autre démontre que lorsque l’environnement de la personne est inclusif et bienveillant, la transition se déroule beaucoup mieux4>De Vries et al., Young Adult Psychological Outcome After Puberty Suppression and Gender Reassignment, 2014.. Un rapport du Conseil de l’Europe signale par ailleurs que l’importance du risque d’abus sexuels que subissent les jeunes trans* justifie qu’ils-elles puissent avoir accès aux sanitaires correspondant à leur identité de genre. En Suisse, les pratiques divergent selon les cantons, voire selon les écoles. Entre le droit de choisir ses sanitaires, d’avoir accès à d’autres sanitaires – comme ceux du corps enseignant –, ou l’absence de choix, il n’existe aucune uniformité.

Dans tous les cas, l’intérêt supérieur de l’enfant, notion phare de la Convention relative aux droits de l’enfant, doit être respecté. Cet intérêt supérieur doit être analysé concrètement, à savoir en fonction du degré de maturité de l’enfant relativement à la décision dont il est question. Lorsque l’enfant est capable de discernement concernant son identité de genre et qu’il-elle affirme sa transidentité, il va donc de son intérêt supérieur d’être reconnu-e conformément à sa demande. C’était par exemple le cas de l’enfant de 14 ans mentionné par l’article de la Tribune de Genève en avril 2017.

Il semblerait que la Suisse commence à prendre conscience du travail qu’il est possible de réaliser à travers l’éducation. Récemment, elle s’est en effet alignée sur la position du Conseil de l’Europe qui préconise d’insérer des informations relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans le matériel pédagogique. En parallèle, certains cantons développent des séances de prévention dans les classes grâce à l’aide d’associations et plusieurs projets se montent dans les écoles autour de la diversité des genres.

Démarches médicales et administratives encore floues

Les personnes trans* sont encore confrontées à de nombreuses barrières juridiques et sociales, dues notamment à la division de notre société en catégories binaires femmes-hommes et à la transphobie ambiante. Les conditions posées à la modification de la mention de sexe à l’état civil est l’une de ces barrières. En Suisse, il faut saisir le-la juge pour effectuer ce changement, selon une action sui generis, car la loi ne traite absolument pas de la question. En 1993, le Tribunal fédéral a imposé le «changement de sexe irréversible» comme condition au changement d’état civil5>ATF 119 II 264.. Depuis, les cantons interprètent cette notion librement et très différemment. Dans des cas qui restent isolés, les tribunaux ont admis que la volonté de la personne trans* et un diagnostic médical de «dysphorie de genre» étaient suffisants. D’autres juges exigent cependant des traitements hormonaux ou des opérations génitales conséquentes, alors même que le-la requérant-e ne les souhaite pas forcément. A ce jour, ces opérations mènent de fait à la stérilisation. Elles ne sont cependant plus admissibles selon la CEDH: au printemps 2017, dans l’affaire «Garçon et Nicot c. France», la Cour soulignait que le fait de conditionner le changement de sexe légal à la stérilisation, ou à une opération menant à la stérilisation, est contraire au droit à la vie privée. Selon la Cour, les Etats ont toutefois le droit d’imposer un examen médical, ainsi qu’un diagnostic de «dysphorie de genre».

Dans les parcours de transition de chaque personne trans*, l’accès aux soins médicaux, aux traitements et aux opérations peut représenter une étape clé. Or, en pratique, ces démarches ne sont ni faciles, ni uniformisées. Certains médecins conditionnent par exemple encore l’accès aux traitements hormonaux et aux opérations à un suivi psychiatrique de plusieurs mois, bien qu’il soit contesté par les standards de soins de l’Association mondiale des professionnels en santé transgenre (WPATH).

Accès aux marchés du travail et du logement

Sur le plan professionnel, il est souvent difficile de garder son emploi à la suite d’une transition. De nombreuses études, dont celle effectuée par l’association Transgender Network en 2015, montrent en effet que beaucoup de personnes trans* sont sans emploi ou le perdent suite à leur transition6>TGNS, Projet Trans-fair, 2015.. 30,8% des personnes en situation de chômage ayant répondu à un sondage avaient perdu leur emploi explicitement en raison de leur transidentité. Notons au passage qu’un licenciement intervenant sur la seule base de la transidentité constitue un licenciement abusif, mais que, bien souvent, les preuves du réel motif de licenciement sont difficiles à apporter. En 2015, le taux de chômage des personnes trans* s’élevait à 20%, soit près de cinq fois la moyenne de la population générale. Relevons néanmoins qu’il n’existe aucune obligation de signaler sa transidentité lors de l’entretien d’embauche, en dehors des très rares cas où cette information est pertinente pour le poste en question et affecte la capacité de travail.

Des difficultés apparaissent également dans le domaine du logement. Une étude du Conseil de l’Europe montre qu’en Europe les personnes trans* sont souvent expulsées ou se voient refuser un logement7>Conseil de l’Europe, La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe, 2015.. Juridiquement, il est possible de conclure un contrat de bail sous son prénom d’usage et selon son identité de genre, car rien n’impose que le prénom et sexe officiels ne figurent au contrat. La partie bailleresse est toutefois libre de choisir avec qui elle conclut ou non un contrat. Existe alors le risque de ne pas être choisi-e en raison de sa transidentité.

Comme ces quelques exemples nous le montrent, le droit suisse accuse un retard important et peine à s’adapter aux réalités et aux besoins des personnes trans*. Des constructions jurisprudentielles «au cas par cas» permettent parfois de petits progrès, mais il en découle une insécurité juridique et une protection insatisfaisante contre les discriminations. D’autres pays ont d’ores et déjà pris les devants. L’Argentine a par exemple adopté en 2012 une loi sur l’identité de genre, dans laquelle elle prévoit le droit à la reconnaissance de l’identité de genre et le droit à la modification des papiers d’identité, et ce, sans condition aucune pour les personnes majeures. Plus proche de nous, la Belgique permet, depuis le 1er janvier 2018, un changement de la mention de sexe à l’état civil par une procédure administrative et sur simple déclaration de la personne concernée. Il serait temps de s’en inspirer.

Notes[+]

** Etudiantes de la Law Clinic de l’Unige. Plus d’info sur: www.unige.ch/droit/lawclinic et sur notre page facebook. Nous remercions Lynn Bertholet ainsi que les autres personnes ayant relu cet article pour leur relecture attentive.

Les deux premiers articles de cette série ont paru les 3 et 9 avril. Le prochain
– et dernier – paraîtra le 23 avril.

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