Familles arc-en-ciel en 2018
A ce jour, seize pays européens reconnaissent le mariage des couples de même sexe et leur autorisent l’adoption conjointe1>Toute l’Europe, en ligne. La Suisse, quant à elle, a opté pour un partenariat enregistré ouvert aux seuls couples de même sexe. Depuis peu, elle permet aux partenaires enregistré-e-s d’adopter l’enfant de leur partenaire. Il s’agit certes d’avancées importantes mais des inégalités de traitement subsistent encore.
Le dimanche 5 juin 2005 marqua l’adoption par le peuple suisse de la loi sur le partenariat enregistré entre personnes de même sexe. Témoignant d’une certaine évolution sociale, cette nouvelle loi est également censée concrétiser le principe constitutionnel de non-discrimination, et réduire les inégalités de traitement entre couples de sexe opposé et couples de même sexe. Or, la loi ne met pas sur un pied d’égalité les régimes du partenariat enregistré et du mariage.
Un mariage «au rabais»?
Les disparités qui subsistent sont en effet nombreuses. Parmi les plus importantes, on peut citer l’accès à la parentalité qui reste limité pour les couples de même sexe. A côté de cela, la loi prévoit de nombreuses différences entre le mariage et le partenariat enregistré. Certaines sont d’ordre terminologique – ainsi, la loi parle de «logement de famille» pour les couples mariés, mais de «logement commun» pour les couples partenariés. D’autres paraissent plutôt symboliques à première vue – ainsi, contrairement au mariage, des fiançailles ne sont pas prévues dans le cadre du partenariat enregistré. La loi dit que le mariage est célébré, alors que le partenariat est enregistré; seul dans le cadre du premier, un échange des «oui» devant des témoins solennels est prévu.
Une autre différence: la dissolution du partenariat peut être demandée après une année de séparation sans l’accord du-de la partenaire, alors que le délai d’attente est de deux ans pour les personnes mariées. Une partie de ces différences peut s’expliquer par une volonté de «modernisation des traditions», comme le dit le Conseil fédéral2>Message LPart 2002, 1214. Néanmoins, et surtout en l’absence d’une modernisation similaire du droit applicable au mariage, ces distinctions donnent l’impression que le partenariat serait une institution moins importante que le mariage aux yeux du législateur fédéral.
Les partenaires, si différent-e-s des marié-e-s?
A moins d’en convenir autrement, les partenaires enregistré-e-s sont soumis au régime dit de la séparation des biens. En d’autres termes, chaque partenaire conserve ses biens et revenus acquis durant le partenariat. Or, il en va autrement dans le cadre du mariage, où le régime par défaut est celui de la participation aux acquêts, mettant en commun les biens et revenus acquis durant le mariage. Les raisons pour cela? Dans le cadre du mariage, le Conseil fédéral estime qu’il est nécessaire de «permettre au conjoint qui voue ses soins au ménage de recevoir une part des économies réalisées pendant le mariage»3>Message LPart 2002, 1219. On dirait que le législateur suisse a du mal à imaginer qu’une répartition des rôles similaire puisse également exister au sein des couples de même sexe.
La répartition traditionnelle des rôles dans un couple sous-tend également le régime des rentes survivant-e-s. Dans ce contexte, un régime plus favorable vise spécifiquement à protéger les femmes veuves. Or, là encore, le législateur a opéré une distinction entre le mariage et le partenariat. S’agissant des couples de femmes, en cas de décès d’une des partenaires, la partenaire survivante n’a droit qu’à une rente de veuf, et non de veuve. Très concrètement, cela signifie que la partenaire survivante n’a droit à une rente de veuvage que si elle a des enfants mineurs à sa charge. La différence actuelle entre les rentes de veuve et rentes de veuf vise à compenser des inégalités de fait existantes entre femmes et hommes, notamment les discriminations des femmes sur le marché du travail, mais également la répartition inégale des tâches domestiques au sein des couples.
Or, ces différences de situation peuvent frapper toutes les femmes, indépendamment de leur orientation sexuelle – un fait que le Conseil fédéral a refusé de reconnaître. Pour ce dernier, reconnaître une rente de veuve aux femmes partenariées induirait une inégalité entre femmes partenariées et hommes partenariés. Mais alors, que penser d’une quête de l’égalité de traitement entre hommes et femmes qui induit des inégalités de traitement entre les femmes en fonction de leur orientation sexuelle?4>Carron/Carvalhosa Barbosa, «Les veuves lesbiennes ne sont-elles pas des femmes?» Le Courrier, 22.11.2017
Mêmes droits et devoirs
Avant le 1er janvier 2018, la loi réservait la possibilité de l’adoption de l’enfant du-de la conjoint-e aux seuls couples mariés, excluant ainsi les couples de même sexe. Jusqu’à ce moment, la législation niait la réalité des familles arc-en-ciel, dans lesquelles un parent au moins s’identifie comme étant lesbienne, gay, bisexuel-le ou trans*. C’est précisément ces familles qui attendaient une réforme depuis de nombreuses années, espérant enfin voir leur situation familiale, largement méconnue du grand public et des autorités, reconnue en droit. Mais est-ce vraiment le cas aujourd’hui?
Depuis peu, l’adoption de l’enfant du-de la partenaire est ouverte aux couples non mariés, de même sexe ou de sexe différent, ainsi qu’aux couples partenariés. Ainsi, tout enfant a le droit d’avoir deux parents reconnus par la loi5>Message Droit de l’adoption, 2014, 865. Ce droit concerne entre 6000 et 30 000 enfants vivant dans des familles arc-en-ciel en Suisse, une estimation plus précise ne pouvant être fournie faute de statistiques à ce sujet6>Garcin, «En Suisse, plusieurs milliers d’enfants vivent dans des familles homoparentales», Tribune de Genève, 24.05.2013. Dès que l’adoption est effective, les deux parents sont parents juridiques au même titre, avec les mêmes droits et devoirs. En cas de séparation, les deux parents gardent en principe l’autorité parentale conjointe, comme c’est devenu la règle pour les familles hétéroparentales aussi.
Malgré le progrès qu’il représente pour les familles arc-en-ciel, le nouveau droit de l’adoption suscite toutefois de nombreuses incertitudes. Avant de déposer une demande d’adoption, le couple doit avoir vécu ensemble pendant trois ans, et le-la parent adoptant doit avoir offert soins et éducation à l’enfant pendant un an avant le début de la procédure d’adoption. Cette deuxième condition pose notamment la question de la protection des droits l’enfant et du-de la parent adoptant durant cette période. De même, en cas de séparation des parents durant cette année, l’adoption n’est plus garantie, ce qui risque également de créer des inégalités entre l’enfant en question et ses frères ou sœurs plus âgé-e-s qui auraient déjà été adopté-e-s.
D’autres interrogations proviennent de la mise en œuvre de la loi. Ainsi, les documents qui doivent être fournis dans le cadre d’un dossier d’adoption ne sont pas encore clairement définis, et les exigences varient d’un canton à l’autre. De même, l’étendue de l’enquête sociale menée par les autorités pour prouver les «aptitudes parentales» du parent adoptant – par entretiens, visites à domicile, parfois audition de l’enfant – suscite des incertitudes.
PMA et adoption conjointe
Dans tous les cas, on constate que la procédure est assez lourde et intrusive au vu du fait qu’elle doit essentiellement servir à consacrer en droit une relation parentale préexistante dans les faits. En effet, le modèle de l’«adoption de l’enfant du partenaire» a été créé, à l’origine, pour des familles hétéroparentales recomposées. Dans ce contexte, elle devait permettre au nouveau conjoint/à la nouvelle conjointe d’adopter des enfants que son-sa conjoint-e avait conçus et souvent partiellement élevés avec une autre personne. La loi prévoit donc un certain nombre de garde-fous pour sauvegarder les intérêts de tous les membres de la famille, et notamment des enfants, dans cette situation potentiellement conflictuelle. Or, dans l’immense majorité des cas, la situation des familles homoparentales est autre, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une famille recomposée, mais bien de deux personnes qui ont conçu un projet parental ensemble.
Pour ce faire, ces couples ont souvent recours à la procréation médicalement assistée (PMA) ou à une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. Or, ces méthodes étant interdites en Suisse, à la naissance de l’enfant, seul le parent biologique devient parent légal en Suisse, l’autre parent n’ayant alors aucun statut juridique et par conséquent aucun droit ni obligation directe à l’égard de l’enfant. La seule option pour lui-elle est alors d’adopter son propre enfant.
De nombreuses difficultés proviennent ainsi du fait que la loi ne permet actuellement pas aux couples de même sexe d’accéder directement à la parentalité conjointe. A cet égard, l’ouverture à la PMA et l’adoption conjointe – qui sont toujours réservées aux seuls couples mariés – aux couples partenarié-e-s constituerait une avancée significative, aussi en ce qu’elle permettrait d’éviter des incertitudes juridiques et des «bricolages» juridiques peu satisfaisants.
En conclusion, on constate que les dix dernières années ont amené des changements importants pour les couples de même sexe et les familles arc-en-ciel, mais aussi que des inégalités importantes subsistent. L’inadaptation du régime juridique suisse aux réalités sociales laisse les familles arc-en-ciel dans le flou à bien des égards. Rappelons qu’en cas de non-reconnaissance d’un-e enfant, c’est ce dernier ou cette dernière qui en pâtira, résultat paradoxal puisque c’est le bien-être supérieur de l’enfant qui est invoqué pour façonner les limites du droit de l’adoption.
Notes
Laura Buri, Milena Peeva et Emilie Rossier sont étudiantes de la Law Clinic de l’Unige. Plus d’info sur: Law Clinic et sur notre page Facebook.
Le premier article de cette série est paru le 3 avril. Le prochain, consacré aux luttes LGBT, sera publié le 16 avril prochain.