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Jusqu’où iront les constructeurs allemands?

Pour François Meylan, le nouveau scandale qui touche l’industrie automobile allemande – commanditaire de tests respiratoires pour démontrer l’innocuité des gaz d’échappement – révèle l’urgence qu’il y a à agir autrement.
Diesel sale

La crise est de taille. L’Allemagne s’est réveillée la gueule de bois. «N’ont-ils pas d’état d’âme?» s’est exclamée la rue. Pour le politique, c’est le scandale de trop. Volkswagen qui était, il y a encore peu, le premier constructeur mondial a, une nouvelle fois, franchi la double ligne de sécurité. Il n’est pas seul. BMW et Mercedes Benz sont également mis en cause. Ils ont eux aussi été convoqués par la commission d’enquête ministérielle. Celle-ci leur a demandé, en substance: Jusqu’où étiez-vous prêts à aller pour vendre vos voitures? L’industrie automobile allemande a financé des expérimentations, en 2014, sur des singes et des cobayes humains. Si les derniers, essentiellement des étudiants, étaient volontaires, il en est autrement pour les primates. Enfermés dans des cages, on les obligeait à inhaler six heures par jour les gaz d’échappement d’une VW Coccinelle. Soit l’inhalation forcée du dioxyde d’azote. C’est du poison. La symbolique est lourde en Allemagne. Dans quel but? Et qu’en est-il des données?

Les «études» menées tant aux Etats-Unis qu’en Allemagne par l’institut de recherches EUGT et financées par les grandes marques incriminées avaient pour objectif de sauver le diesel en le faisant passer pour inoffensif. Les résultats n’ont jamais été rendus publics. Et pour cause, ils se sont révélés décevants pour l’industrie. Le diesel demeure nocif. Certes, on a jadis utilisé des animaux lors de crash tests et des efforts considérables ont bel et bien été consentis pour rendre cette forme de motorisation plus propre. Mais l’imaginaire collectif a été marqué. Comment de tels agissements sont-ils encore possibles aujourd’hui?

Cette nouvelle affaire ébranle les liens entre l’industrie de la voiture et la classe dirigeante allemande. Angela Merkel était appelée, jusque-là, la chancelière de l’automobile. A juste titre, elle s’est toujours battue pour une industrie qui occupe quelque 10% de la population active du pays. En premier lieu, il n’est pas nécessaire d’avoir visité les camps de la mort d’Auschwitz et de Birkenau, en Pologne, pour comprendre le malaise évoqué sur les réseaux sociaux par de jeunes Allemands. L’ombre des années sombres du nazisme est toujours présente. A l’époque, la majorité des industriels avaient participé au génocide. Il a fallu du temps pour les réconcilier avec les générations suivantes. Une nouvelle affaire de gaz toxique, cela rappelle l’entreprise Degesch (Deutsche Gesellschaft für Schädlingsbekämpfung) soit la «Société allemande pour le combat contre la vermine» détenue par le groupement d’intérêt économique IG Farben. Celui-ci étant alors composé des multinationales BASF, Bayer et Agfa. La firme faisait elle aussi des expérimentations. Elle manipulait le pesticide Zyklon B, utilisé dans les chambres à gaz.

Aussi, les agissements de Volkswagen ont de quoi émouvoir plus d’un. Reste à savoir, une fois l’indignation passée, si on sera à même d’en tirer les enseignements. Force est de reconnaître que les consommateurs ont aussi leur part de responsabilité. Comment peut-on souhaiter des bolides toujours plus puissants et, en même temps, appeler de ses vœux une moindre pollution?

Une fois de plus, nous, citoyens et consommateurs, détenons le pouvoir ultime de plébisciter ou boycotter les acteurs économiques qui ne répondent pas à notre vision du monde – celle que nous souhaitons pour demain et pour les générations futures. Soyons cohérents: on le sait, le remplacement du diesel par le tout électrique amènera lui aussi son lot de désolation. Le besoin de cobalt et de lithium, ressources limitées, sera exponentiel. Selon Amnesty International, 40 000 enfants travailleraient dans des mines de cobalt en République démocratique du Congo. Les normes environnementales et les droits humains ne sont pas respectés. En France, c’est à hauteur de 80% que le nucléaire sera sollicité pour le remplacement des véhicules à essence et diesel par l’électrique, à l’horizon 2040. Finalement, ce nouveau scandale Volkswagen n’est-il pas révélateur de la nécessité d’un changement urgent de paradigme? Celui d’un monde où la voiture ne serait plus au centre de nos systèmes.

François Meylan est conseiller financier indépendant, Lausanne.

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