Chroniques

El Salvador

A rebrousse-poil

Le «Secrétariat Amérique Centrale» (ZAS) de Zurich cherchait des volontaires pour observer les élections municipales et législatives du 4 mars au Salvador. Sachant que je serai en compagnie de bons amis genevois, je me suis inscrit.
Avant de partir, histoire de me rafraîchir la mémoire, je me suis procuré un guide. Erreur!

On y apprend bien sûr que le Salvador est le plus petit pays d’Amérique centrale, qu’il a été le théâtre d’une terrible guerre civile de 1980 à 1992, qui a connu son lot de massacres d’innocents perpétrés par l’armée, et la victoire de la guérilla du FMLN [Front Farabundo Martí de libération nationale]. Mais il est dit surtout dans ce livre que le Salvador est l’un des pays les plus violents de la planète, où s’affrontent deux gangs mafieux, où l’on compte en moyenne 10 homicides par jour, où il est dangereux de se promener seul, où certains quartiers de la capitale sont à éviter absolument si l’on tient à la vie!

Par précaution, on m’avait dit de m’annoncer comme touriste. Le douanier me regarde par en dessous: «Vous n’êtes pas plutôt venu observer les élections?» Je ne sais pas mentir. «A quel parti appartenez-vous?» Je bredouille: «C’est une ONG suisse…» «Oui, mais de quel parti?» Je m’embrouille, puis de guerre lasse, je lui tends la lettre sur laquelle figure le nom de l’ONG. Le douanier la parcourt, puis m’adresse un grand sourire en montrant, au bas de la feuille, les lettres FMLN: «Voilà ce que je vous demandais! Merci d’être venu nous soutenir!» Il tamponne mon passeport et me serre chaleureusement la main! La chance a fait que je suis tombé sur un fonctionnaire ami.

Nous sommes logés chez Lisa, une Suissesse qui a participé à toute la guérilla.

Visite de la capitale. Nous commençons par la petite église où Mgr Romero, archevêque de San Salvador, ardent défenseur des pauvres, a été assassiné en pleine messe, en 1980, par un escadron de la mort. Suivent des musées, le cimetière des Illustres, où la tombe du major d’Aubuisson, commanditaire de l’assassinat de Mgr Romero, est couverte de fleurs! Partout, le souvenir de la guerre civile, partout la mémoire des massacres, partout le portrait de l’archevêque. Dernières images de la journée, les photos des corps criblés de balles de six jésuites exécutés en 1989 par les soldats. Insoutenable.

Visite du nord. Guidés par Lisa et Anna, nous nous rendons sur les lieux où elles ont combattu. Anna: après avoir vu son père et trois de ses oncles tués par l’armée, elle entre dans la guérilla dès le début de l’insurrection. Elle a 14 ans; elle y restera jusqu’à la victoire.

Paysage de montagnes escarpées, forêts de pins. Dans un repli de terrain, un tunnel minuscule, deux salles basses creusées dans le rocher. On y cachait les blessés durant les attaques de l’armée. Le percement des tunnels était une technique apprise des Vietnamiens. Plus haut, des barrières entourent une pierre tombale. Les cendres de Barbara, une Suissesse, et celles d’une Allemande, ont été déposées ici. Plus haut encore, les tunnels qui abritaient la radio clandestine à laquelle collaborait Lisa.

Anna et Lisa racontent tranquillement la vie dans ces montagnes, les assauts contre les casernes, les camarades tombés. Le courage de ces femmes, comme la fidélité sans faille à leurs idéaux, forcent l’admiration.

Aujourd’hui, dimanche, jour du scrutin. Il voit s’affronter deux principaux partis, le FMLN et ARENA [Alliance républicaine nationaliste], la formation d’extrême droite fondée par le major d’Aubuisson. Actuellement, la présidence de la République est aux mains du FMLN, tandis qu’ARENA domine le parlement, avec d’autres petits partis de droite. Au cours de la dernière législature, la droite a saboté la plupart des réformes proposées par la gauche.
Dès 5 heures du matin, dans le quartier populaire auquel nous sommes affectés, on a installé les bureaux, contrôlé le matériel de vote. A 7 heures, les portes s’ouvrent, et les Salvadoriens commencent à entrer. Méthodiquement, avec grand sérieux, les scrutateurs remplissent leurs fonctions. Les votants, eux, semblent conscients du privilège qui leur est offert d’exercer leurs droits. Tout se passe sans violence. Dans d’autres quartiers de la capitale, comme dans les villages environnants que nous visitons, règne la même atmosphère calme et digne.

Les bureaux de vote ferment à 17 heures, mais le dépouillement risque de se prolonger jusque tard dans la nuit 1>L’ARENA est arrivée en tête dimanche, selon les résultats intermédiaires disponibles lundi.. A notre niveau, ces élections se déroulent le plus régulièrement du monde.

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* www.michelbuhler.com

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lundi 8 janvier 2018

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