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Quand information rime avec consommation

Pour les opposants à l’initiative «No Billag», l’arrêt de la redevance audiovisuelle signerait l’avènement d’un «désert de l’information». Mais, selon Luca Bagiella et Adrienne Pereira, il serait possible que nous en soyions déjà à l’aube.
«No Billag»

La question du financement des radios locales et des télévisions régionales sur laquelle nous sommes appelés à voter le 4 mars prochain est complexe. Pour rappel, il existe aujourd’hui en Suisse une obligation légale de s’acquitter d’une redevance contre la mise à disposition d’un service audiovisuel d’information. En contrepartie, ce service s’engage «à informer la population de façon honnête, impartiale et équilibrée, en respectant le pluralisme politique et en abordant en priorité ce qui est important pour la vie en société plutôt que ce qui est le plus rentable sur le plan publicitaire».
En réaction à la redevance et à une situation qualifiée de «quasi-monopole» des services d’information (alors même que les programmes des chaînes publiques attirent de moins en moins de personnes), les initiants de «No Billag» entendent donc supprimer la redevance et ouvrir ce service à la concurrence du secteur privé. Les opposants à l’initiative, quant à eux, s’insurgent contre la menace d’une disparition de l’offre de «service public général» et contre ce qui conduira, selon eux, à une «berlusconisation» du paysage médiatique. Les opposants craignent que les médias deviennent des entreprises qui font passer le profit avant leur mission d’information.

Alors bien sûr, à droite de l’échiquier politique, on devrait soutenir la liberté individuelle dans l’exercice du «droit à une information de qualité». Ce droit est une condition préalable à la liberté d’expression et donc, par dérivée, à la démocratie. A gauche, on devrait plutôt insister sur une contribution solidaire qui garantit l’égalité d’accès à l’information. Néanmoins, ceux qui soutiennent l’initiative ne sont pas forcément «de droite» et ceux qui la rejettent «de gauche». Par-delà ce clivage idéologique classique, nous cherchons tous le libre choix du produit que nous consommons, peut-être parce que nous sommes désormais aussi tous égaux face à un rapport de dépendance à une information que nous «consommons» comme n’importe quel autre produit sur le marché.

Bien entendu, nous ne nions pas l’existence d’une offre publique (et privée) d’informations de qualité. Cependant, ces informations sont aujourd’hui bien souvent noyées dans un flot de publicités et de divertissements. Comment ne pas s’indigner alors lorsqu’on nous appose la publicité pour dentifrice aux massacres en Palestine, lorsqu’on diffuse des programmes pour la jeunesse qui rendent violents et ignorants plutôt que d’éveiller aux valeurs éthiques et citoyennes, lorsque les films nous formatent à une culture globale individualiste et narcissique qui alimentent nos frustrations consuméristes alors même que la crise écologique et la diminution des ressources sont des faits avérés? Peut-être nous trouvons-nous déjà à l’aube de ce «désert de l’information» que les opposants à l’initiative brandissent comme conséquence probable à l’arrêt de la redevance. Accepter ou refuser de continuer à payer cette redevance revient, finalement, à choisir les conditions d’un asservissement indéniable dans une ère d’obscurantisme consumériste.

Ainsi, beaucoup d’entre nous se sentiront sûrement dans une impasse à la veille du 4 mars prochain: faut-il accepter les médias publics d’information avec leurs imperfections et continuer à les sponsoriser ou décider (et cela ne sera pas un choix gratuit pour autant) vers quels fournisseurs nous tourner pour assouvir notre dépendance moderne à l’information. Il nous faudra encore choisir le moindre mal, en essayant de ménager ce qu’il reste de nos convictions idéologiques une fois passées à l’examen pragmatique du libéralisme économique.

Afin de se prononcer sur la question du financement des médias publics, ne faudrait-il pas d’abord nous concerter, préalablement et démocratiquement, sur comment favoriser des médias d’information orientés par et pour la citoyenneté et la pleine conscience, qui donneraient à voir et à entendre la voix des citoyen-ne-s que nous sommes? Bref, ce qui est certain, c’est que l’initiative «No Billag» nous confronte une fois de plus aux limites d’un système et propose des remèdes aux symptômes plutôt que de traiter les causes de ceux-ci.

Luca Bagiella  est doctorant en sciences sociales, Université de Lausanne. Publication récente: Narcissisme-critique, Vevey, Editeur Hélice Hélas, 2016.

Adrienne Pereira est assistante-doctorante en psychologie sociale, Université de Lausanne.

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