Contrechamp

La voix des enfants travailleurs à l’OIT

La campagne «It’s time to talk» a permis à 1800 enfants du monde de s’exprimer sur le travail des enfants. Leurs recommandations ont été portées à la IVe Conférence mondiale sur l’élimination du travail des enfants à Buenos Aires, en novembre 2017. Présentation par Terre des Hommes Suisse.
La voix des enfants travailleurs à l’OIT
Confection, par des enfants péruviens, de pancartes où l’on peut lire «Les insultes blessent»; «J’aimerais étudier pour grandir»; «Les filles et les garçons, nous sommes le présent». TDHS/YVES MAGAT
Droits de l’enfant

Les pires formes de travail sont un fléau qui prive nombre d’enfants de leur innocence, de leur droit à être protégés, à vivre en bonne santé, à jouer ou à accéder à l’éducation et la formation. Leur enfance est souvent sacrifiée sur l’autel de la pauvreté qui entraîne l’ensemble de la famille dans une lutte pour la survie… généralement payée au prix fort. Rien ne peut justifier qu’un enfant soit exploité. Malheureusement, si la Convention relative aux droits de l’enfant et les lois de la plupart des pays interdisent strictement l’exploitation des mineurs, leur application reste trop souvent partielle.

Au niveau mondial, depuis une quinzaine d’années, ce sont quelque 96 millions d’enfants qui se sont affranchis de la nécessité de travailler, tandis que le nombre d’enfants impliqués dans les pires formes de travail aurait diminué de moitié. Un impact encourageant pour toutes les institutions qui œuvrent en ce sens. Mais les projections futures prévoient toujours 121 millions d’enfants qui travailleraient dans des conditions inacceptables en 2025.
Depuis 1997, l’Organisation internationale du travail (OIT) organise, à échéances régulières, une conférence sur l’élimination du travail des enfants, dans le but de réunir autour d’une même table non seulement les Etats, mais également de nombreux partenaires sociaux qui peuvent jouer un rôle actif implicite. Malgré les progrès réalisés au cours des vingt dernières années, les objectifs ambitieux qui avaient été fixés lors des précédentes conférences n’ont pas été atteints.

La voix des enfants travailleurs

La IVe Conférence mondiale sur l’élimination durable du travail des enfants a eu lieu en Argentine en novembre 2017. C’est dans ce cadre que les résultats et les recommandations issus de la Campagne «It’s time to talk» (lire ci-dessous) ont été présentés. Ainsi, la voix des enfants travailleurs – qui n’ont pas le droit de participer à l’événement – a indirectement résonné dans les salles de négociations, permettant d’atteindre un résultat symbolique: l’inclusion, dans la déclaration finale de la Conférence, du droit des enfants à exprimer leur opinion et du devoir des politiques et programmes publics de prendre ces opinions en considération. La lutte contre les pires formes de travail des enfants a été de nouveau agendée dans le cadre des Objectifs du développement durable pour 2030.

Les actions de protection des enfants s’inscrivent dans le cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant qui stipule clairement que «le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, moral ou social» (article 32).

Une approche pragmatique

Cependant, la position de nombreuses associations qui luttent contre l’exploitation des enfants au travail est marquée par le pragmatisme. Le lien de cause à effet entre la pauvreté des familles et le travail des enfants n’est plus à démontrer: les revenus familiaux influencent grandement la nécessité ou non, pour les enfants, de contribuer à leur propre subsistance et à celle de leur famille. De même est reconnu le rôle de l’éducation comme moyen de prévention mais aussi de protection contre l’exploitation au travail des enfants.

Malgré quelques différences d’approche, l’ensemble des acteurs internationaux insistent sur l’importance, dans l’immédiat, de protéger les enfants qui travaillent dans des conditions portant préjudice à leur santé physique ou psychique, et de se mobiliser pour l’avènement d’un monde dans lequel aucun enfant ne sera obligé de travailler pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.

La lutte contre les pires formes de travail des enfants est au cœur des actions de protection menées par Terre des Hommes Suisse et ses partenaires sur le terrain et s’inscrit dans une approche globale. Concrètement, l’association travaille en amont pour empêcher les enfants d’être victimes de ces pires formes, grâce à la sensibilisation des populations, la promotion d’un revenu digne pour les parents, le maintien des enfants à l’école. Elle aide également les jeunes à s’extraire des situations intolérables – en leur offrant protection et écoute –, et dénonce celles et ceux qui les exploitent. Enfin, considérant que nombre d’enfants n’ont pas d’autre alternative, et pour autant que leur travail ne soit pas préjudiciable à leur santé ou à leur accès à l’éducation, Terre des Hommes Suisse accompagne les jeunes travailleurs, les encourage à devenir acteurs de changement et à se construire de nouvelles perspectives d’avenir.
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Mouchoirs solidaires

Terre des Hommes Suisse est à la recherche de bénévoles pour sa vente de mouchoirs de la solidarité. Les 2 et 3 mars, dans les rues de Genève, l’association organise sa traditionnelle vente de mouchoirs au bénéfice de milliers d’enfants défavorisés dans des pays du Sud: ils pourront ainsi mieux être protégés, accéder à une éducation et à une alimentation adéquate. Vous pouvez participer:
• En vendant des mouchoirs. Pour renforcer l’équipe de vendeuses et vendeurs, inscrivez-vous en ligne sur www.terredeshommessuisse.ch/mouchoirs ou par téléphone au 022/737 36 36.
• En achetant des mouchoirs pour vous ou vos proches. Sur les stands les 2 et 3 mars ou via boutique.terredeshommessuisse.ch AG/OG

Quand les enfants parlent du travail des enfants

Il est temps d’écouter les enfants, de prêter attention à leurs paroles, à leurs ressentis, à leurs opinions, même lorsque les thèmes abordés sont sensibles. Car même si elle touche directement plus de 150 millions d’enfants dans le monde, la réflexion sur la problématique du travail infantile a été et reste encore trop souvent l’apanage des adultes.

Lancée en mars 2016, la campagne «It’s time to talk» porte les voix des enfants auprès de la communauté internationale. Conçu et réalisé à l’initiative de Terre des Hommes, de Safe the Children et de Kindernothilfe, ce vaste projet participatif a pour but de permettre aux plus jeunes de s’exprimer spécifiquement sur le travail des enfants. Il a abouti sur l’inclusion du droit des enfants à s’exprimer – et à être entendus – dans les rapports finaux de la IVe conférence à Buenos Aires, en novembre dernier2017.

La volonté d’écouter ce que les filles et les garçons économiquement actifs ont à dire à propos de leur travail ne signifie pas pour autant assumer cette réalité comme inéluctable, ni encore moins la cautionner. Elle traduit simplement un engagement important: concrétiser le droit des enfants à exprimer leur opinion, et la prendre en compte dans le cadre des questions qui les concernent.

De mars 2016 à novembre 2917, «It’s time to talk» a ainsi impliqué plus de 1800 enfants âgés de 5 à 18 ans, issus de 36 pays à travers le monde, qui ont pu parler de leur vécu d’enfants travailleurs, de leurs aspirations et de leurs rêves, mais aussi de ce dont ils ont besoin pour se sentir protégés et des difficultés qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne. Pour donner la parole aux enfants et les écouter réellement, il a fallu créer des conditions favorables. Des espaces sécurisés ont ainsi été mis en place afin que les enfants puissent témoigner aisément et sans craintes. Des outils adaptés, à travers notamment le dessin, ont également favorisé l’expression au-delà des mots.

Durant les ateliers de consultation, les enfants ont parlé avec fierté de leur volonté de contribuer concrètement à la vie de leur famille, et de ce que le travail leur apporte en termes d’apprentissage et de compétences. Nombreux sont les enfants à avoir souligné que le travail leur permet d’assumer une partie de leurs frais de scolarité. Mais ils ont aussi raconté ce qu’ils détestent et les tâches pénibles que les adultes les obligent parfois à assumer. Ils ont également évoqué les risques liés à leurs activités, notamment lorsque celles-ci se déroulent dans la rue ou hors du contexte familial, et la fatigue qu’ils ressentent tout au long de ces journées bien trop astreignantes, qui dépassent leurs forces. Les enfants ont, enfin, rappelé la responsabilité des adultes dans leur protection.

Au Burkina Faso et au Mali, plusieurs organisations partenaires de Terre des Hommes Suisse ont participé activement à la campagne. Les associations qui luttent contre le travail des enfants dans les mines, par exemple, ont organisé des ateliers pour discuter avec les enfants de l’orpaillage, de leur présence sur les sites miniers, des raisons, souvent liées à la pauvreté, qui les poussent à effectuer un travail si pénible et dangereux.

A travers une cartographie corporelle dessinée sur du papier d’emballage, ils ont, sans complaisance, pointé du doigt les sensations physiques qui accompagnent leur travail. Sur une ligne du temps, filles et garçons ont illustré leur journée, qui commence trop tôt, se termine trop tard, et ne compte que de rares moments de distraction, voire aucun.

Les enfants ont identifié les membres de leur entourage qui pourraient – et devraient – s’engager dans la lutte contre les pires formes de travail des enfants. Les parents n’ont pas été les seuls mentionnés, car d’autres personnes ont un rôle à jouer: les oncles et les tantes (si importants dans les familles en Afrique de l’Ouest), mais aussi les enseignants, les chefs des villages, les maires. Soit toute personne qui, de par son rôle dans la société, peut améliorer les conditions de vie des enfants travailleurs. AG/OG

* Alessandra Genini et Olivier Grobet sont chargés de programme à Terre des hommes Suisse (A. Genini: Mali et Burkina; O. Grobet: Colombie et Brésil).

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