Contrechamp

Nos enfants vont-ils changer le monde?

En Suisse et dans le monde, des millions d’enfants et d’adolescent-e-s s’engagent pour défendre leurs droits et les causes qui les touchent. Alors que la Convention relative aux droits de l’enfant va bientôt fêter ses 30 ans, les plus jeunes sont de plus en plus actifs pour exiger et déclencher les changements qu’ils estiment nécessaires à leur survie.
Nos enfants vont-ils changer le monde?
Les enfants et les adolescents à travers le monde n’hésitent pas à s’engager pour faire avancer les causes qui les concernent. Ici, un conseil de jeunes au Pérou. TERRE DES HOMMES SUISSE, CARMEN BARRANTES
Droits de l’enfant

On aurait pu croire nos enfants anesthésiés par leur téléphone portable et les réseaux sociaux. Il n’en est rien, comme l’ont montré les centaines de milliers d’écolières et d’écoliers qui se sont mobilisés en mars dernier, dans plus de 120 pays (y compris près de 40 000 jeunes en Suisse), pour rappeler qu’il y a urgence face aux dérèglements du climat.

Après le court règne de l’enfant-roi, nous voici donc dans une nouvelle ère, celle de l’enfant engagé. Comme la jeune suédoise Greta Thunberg ou Malala Yousafzai, prix Nobel en 2014, des enfants et des adolescents à travers le monde n’ont pas peur de s’engager, pour l’environnement, la paix, l’éducation ou le droit des migrants. Ils s’engagent aussi contre les mariages forcés, la violence ou les nouvelles formes d’esclavage.

Comment se fait-il que les plus jeunes se mobilisent aujourd’hui sans complexes pour défendre des causes qui leur tiennent à cœur? Leur participation commence au sein de la famille, où les enfants sont plus écoutés et ont davantage de pouvoir de décision que les générations précédentes. Grâce à l’accès facile via internet aux réponses à leurs questions, ils sont aussi beaucoup mieux informés. Les réseaux sociaux, qui font partie de leur quotidien, leur donnent la même capacité de mobilisation que leurs aînés. Les enfants n’ont peut-être pas le droit de vote, mais ils peuvent se montrer très persuasifs, jusqu’à influencer leurs parents et les inciter à changer leurs habitudes. Ils sont donc aujourd’hui une force avec laquelle il faut compter.

L’évolution du droit a aussi ouvert de nouvelles portes aux enfants. Ils ont leur mot à dire sur les questions qui les concernent, grâce à la Convention relative aux droits de l’enfant qui fête le 20 novembre ses trente années d’existence: les articles 12 et 13 garantissent en effet aux plus jeunes la liberté d’expression et le droit à ce que leurs opinions soient prises en considération.

S’appuyant sur cette évolution, de nombreux programmes ont été développés pour que les enfants ne soient plus seulement considérés comme des êtres sans défense qui doivent être protégés, mais qu’ils puissent aussi être des acteurs à part entière de la société, et contribuent à y apporter les changements qu’ils considèrent nécessaires à leur bien-être et à leur épanouissement.

Robin des Watts, des écoliers solidaires

Toutes les mobilisations des jeunes ne sont pas aussi médiatisées que les grèves scolaires pour le climat. Il existe cependant une multitude d’initiatives portées par des enfants et des adolescent-e-s, qui, lorsqu’on leur en donne l’espace et les moyens, savent faire preuve d’une grande inventivité et d’une belle solidarité.

Protéger et éduquer

Active depuis près de soixante ans, Terre des Hommes Suisse défend le droit à la participation des enfants et des jeunes au travers d’une approche intégrée comprenant également les droits à la protection et à l’éducation. Elle représente la section romande de l’organisation faîtière Terre des Hommes Suisse-Schweiz et fait également partie de la Fédération internationale Terre des Hommes, dont les différents membres sont tous indépendants les uns des autres.

Basé à Genève, le siège de Terre des Hommes Suisse compte 26 salariés qui œuvrent au quotidien avec des représentants de la société civile locale afin de défendre les droits des enfants dans neuf pays à l’international. L’objectif commun est de permettre à ces enfants vulnérables de grandir en sécurité et de devenir les acteurs de changement de demain. Son budget, d’environ 8 millions de francs par an, provient à 61% du grand public. ES

C’est le cas en Suisse romande avec le programme Robin des Watts, dont les protagonistes sont des écolières et des écoliers genevois et vaudois, en solidarité avec d’autres élèves, en Europe, en Amérique latine et en Afrique. En participant activement à une meilleure gestion de la consommation d’électricité, de chauffage et d’eau dans leur école, les élèves permettent à leur établissement de réduire ses frais; l’argent économisé est alors utilisé pour faire des aménagements dans des écoles de zones défavorisées, afin que leurs élèves bénéficient de meilleures conditions pour apprendre.

La mise en place d’une serre accolée au mur d’une école andine au Pérou, financée grâce aux économies d’énergie réalisées par des écoliers suisses, permet de faire grimper la température dans les classes, tout en fournissant un précieux apport de légumes verts au menu de la cantine! Développé par les organisations Terre des Hommes Suisse et Terragir, en partenariat avec d’autres ONG, Robin des Watts fêtera ses dix ans en décembre. Le programme, qui fait appel à la participation non seulement des élèves, mais aussi des enseignant-e-s, des parents et des autorités, a déjà permis d’améliorer le quotidien d’élèves de 77 écoles dans sept pays1>Réalisé par Juan José Lozano, le documentaire sur Robin des Watts à Genève et au Pérou peut être visionné en ligne: https://vimeo.com/105951953.

«La participation des enfants est la pierre angulaire de notre mission et de toute notre action», affirme Sandrine Maillard, responsable de la communication et de la recherche de fonds à Terre des Hommes Suisse. C’est pourquoi l’organisation soutient des projets variés dans lesquels les enfants sont «les acteurs du changement». Par exemple, le Comité des enfants et des jeunes du département de Chuquisaca en Bolivie: une sorte de parlement des jeunes au sein duquel tous peuvent exprimer leurs inquiétudes, sur la drogue ou la violence familiale, et faire des propositions qui seront rapportées au niveau national. Au Madhya Pradesh, en Inde, c’est grâce à des centres d’éducation informelle que des enfants défavorisés apprennent leurs droits et peuvent formuler leurs demandes aux autorités locales.

S’engager pour se libérer du sentiment d’impuissance

La section alémanique de Terre des Hommes Suisse/Schweiz (lire ci-dessous), basée à Bâle, met aussi l’accent sur la participation des plus jeunes et la recherche de solutions par les principaux intéressés. La force de cette approche, selon l’organisation, c’est qu’elle «permet aux jeunes personnes affectées de se libérer de leur sentiment d’impuissance». Dans un pays comme le Mozambique, par exemple, où la violence contre les filles et les mariages forcés sont encore courants, l’émancipation passe par la création, par les jeunes filles elles-mêmes, d’organisations destinées à lutter pour leurs droits.

La coopération au développement, qui, rappelons-le, sert à «transformer les conditions de vie des personnes touchées par la pauvreté, la marginalisation et la discrimination»2>Reality of Aid Report 2018., s’appuie donc aujourd’hui sur ce nouveau paradigme: la conviction que les enfants, y compris les plus défavorisés, ne sont pas que des citoyens «de demain», mais qu’ils sont aussi capables de faire une différence dès aujourd’hui.

Car les enfants n’ont peut-être pas encore le pouvoir politique de changer le monde, mais ils ont certainement des moyens pour changer leur monde: ils savent mettre le doigt sur les problèmes qui les concernent, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou culturels, et proposer des solutions valables. Ils n’ont pas peur de sortir des sentiers (re)battus et, du fait de leur jeune âge, se projettent dans un avenir plus lointain que celui des adultes.

D’ailleurs, le temps presse, et nos enfants, en Suisse et dans le monde, l’ont bien compris. Leurs héros ne sont plus ceux qui jouent sans discrimination du muscle, de leurs armes ou de leur pouvoir économique. Les véritables héros sont ceux qui, refusant de baisser les bras devant les injustices ou de vendre leur âme et l’avenir de la planète pour des gros sous, savent faire preuve de créativité, de solidarité et d’altruisme pour régler les problèmes que d’autres refusent de voir. Rejetant l’apathie, le cynisme, voire le pouvoir destructeur de leurs aînés, une nouvelle génération d’enfants et de jeunes a vu le jour. Consciente des défis à relever, elle utilise son cerveau et son cœur en résonance pour créer un monde plus harmonieux, afin de donner à son futur non seulement un sens, mais surtout, une chance d’exister.

Trente ans de Convention

Terre des Hommes Suisse fête les 30 ans de la Convention relative aux droits de l’enfant. A cette occasion, l’organisation a mis sur pied plusieurs activités:

• Création d’un Conseil international des jeunes. Elus par leurs pairs, ces jeunes de 18 à 25 ans, issus de sept pays en plus de la Suisse, forment un organe consultatif au sein de l’organisation. L’objectif: favoriser le partage d’expériences et d’expertises en vue de la création de projets locaux et régionaux par les enfants et les jeunes. Des représentants du Conseil seront présents à Genève le 20 novembre.

• Participation à «Enfants Reporters». Tout autour du globe, des enfants se sont transformés en journalistes radio, télé et presse écrite, pour traquer les problèmes auxquels ils sont confrontés. Terre des Hommes Suisse soutient ces jeunes reporters dans la plupart de ses pays d’action. Leurs projets seront également présentés à Genève le 20 novembre. C’est une initiative de l’«Association 30 ans de droits de l’enfant», dont Terre des Hommes Suisse est partenaire, avec le Canton et la Ville de Genève, l’Université de Genève, et d’autres ONG actives dans les droits de l’enfant. ES

Notes[+]

L’auteure est journaliste indépendante, en collaboration avec Terre des Hommes Suisse.

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