Mécénat intéressé
Quand le géant Nestlé se fâche à cause de la politique veveysanne, c’est la culture qui trinque. En raison d’une fâcherie pour un moratoire sur les projets immobiliers, Nestlé a suspendu son soutien à deux projets culturels majeurs: le Festival Images et le musée Jenisch. La gauche dénonce une prise d’otage, la droite estime qu’il fallait s’y attendre à force de «taper sur les riches».
L’affaire rappelle surtout que, dans un monde où rien n’est gratuit, le mécénat n’est pas innocent. Il devient un argument de poids pour établir une zone d’influence, devenir omniprésent, voire indispensable. C’est le cas de Nestlé, qui arrose les institutions, culturelles notamment.
Musées, salles de concerts, festivals… Difficile de résister à la tentation de l’argent dans des structures – parfois modestes – pour qui quelques dizaines de milliers de francs font une indéniable différence dans le budget. Avec ses milliards de francs de bénéfices annuels (8,5 en 2016, pour 89,5 milliards de chiffre d’affaires), Nestlé peut, pour sa part, se permettre d’être généreuse. Elle a même tout à y gagner. En Suisse, les allégements fiscaux pour les géants du commerce et les grandes fortunes sont encouragés. On l’a vu avec les milliards de pertes fiscales qu’aurait induite la RIE III, refusée par le peuple, et dont on attend de voir si le successeur – Projet fiscal 17 – insistera davantage sur le maintien des recettes que sur les cadeaux aux entreprises. Car ces ristournes affaiblissent les comptes publics, lesquels ne peuvent plus maintenir la cohésion sociale, qui dépend au final du bon vouloir des plus riches au détriment du contrôle démocratique
Soulagées d’un poids économique, les collectivités oublient parfois l’adage du «qui paie commande». Et les fondations et autres structures caritatives ont su se rendre indispensables, investissant dans l’éducation, la réinsertion, le social, le sport… parfois davantage que l’Etat lui-même. Jusqu’où accepter cette privatisation de la culture, de l’enseignement, de l’espace public et des activités sociales? A Genève, une enquête de la Tribune parue le 2 février interpelle quant à l’influence de la fondation Wilsdorf sur les tâches régaliennes de l’Etat. Et elle n’est pas la seule à arroser les bords du Léman de ses largesses.
Gageons que beaucoup de donateurs le font sans arrière-pensée. L’exemple de Nestlé montre que certains ont des attentes. Pour un cas révélé de contrariété manifeste, combien ont su simplement convaincre les politiques et les institutions publiques d’aller dans leur sens? A Vevey, le Conseil communal devra se prononcer ce printemps sur le projet immobilier qui fâche. La multinationale devrait avoir la bienséance de ne pas faire pencher la balance sous le poids de ses subventions. I