Chroniques

Les crocs de mère-grand

Michel Bühler prend position en faveur du « non » à l’initiative « No Billag ».
A rebrousse-poil

Aujourd’hui, avant que vienne – c’est dans l’air! – le temps où les fake news auront pris le pas sur la véritable information, le citoyen peut encore trouver dans nos médias de quoi se forger une opinion sur les sujets les plus divers.

Ainsi, dans le débat autour de No Billag, qui oppose l’ensemble du pays à une minorité d’extrême droite, tout a été écrit, tout a été dit. Il n’est donc pas nécessaire de revenir sur le sujet.

Pas nécessaire de rappeler que «l’ensemble du pays», c’est la totalité des partis politiques – moins un: voir plus bas –, la totalité des politicien-ne-s – moins les élu-e-s de ce parti –, l’ensemble de la presse – sauf quelques journaux, propriétés de quelques piliers de cette «Union». C’est aussi tout ce que la Suisse compte comme acteurs culturels, sportifs, comme amoureux du patrimoine et de la diversité linguistique, comme défenseurs des minorités.

Tout le monde sait ça.

De même, il serait superflu de souligner encore les effets qu’aurait cette initiative: assassinat de dizaines de chaînes de radio et de télévision, disparition de dizaine de milliers d’emplois, et surtout mort définitive de toute information fiable et de proximité. Silence de nécropole de Genève à Romanshorn. Avec de la chance nous parviendraient ici et là, venues de loin, de rares nouvelles de chez nous sur télé Berlusconi ou canal Bolloré1.

Bon… ces faits sont de notoriété publique.

Enfin, il serait peu charitable de braquer à nouveau les projecteurs sur les auteurs de cette initiative: des fils à papa zurichois, professant les théories économiques les plus éculées, évoluant dans les milieux de la finance et de la banque, proches de l’ASIN [Association pour une Suisse indépendante et neutre, proche de l’UDC] et du club ultralibéral du Mont-Pèlerin. Rêvant de tout privatiser, de voir disparaître l’Etat, donc la démocratie, ces ploutocrates2 appellent de leurs vœux une société dans laquelle n’existeraient plus de libres citoyens, mais seulement de dociles consommateurs.

Ce serait leur faire trop d’honneur que de parler encore d’eux.

Autre chose, donc:

Réunis en assemblée générale, les délégués de l’UDC, puisqu’il faut l’appeler par son nom, ont appelé à voter oui à No Billag par 239 voix contre 17. Comment expliquer ce score quasiment soviétique? Ce parti anciennement agrarien n’a pourtant pas cessé, depuis qu’il est tombé aux mains de certain milliardaire, de proclamer son amour de la Suisse et de ses traditions. Il prétend être le seul rempart contre l’invasion étrangère, le dernier bastion de résistance face à la patte griffue des «autres», cette masse interlope qui salive à nos frontières et n’attend qu’un signe de faiblesse de notre part pour venir se goinfrer de röstis et de fondue.
Et là, tout à coup, volte-face, virage à 180 degrés!

Comme un seul homme, femmes comprises, ces – jusqu’ici – farouches défenseurs de la Patrie et de ses Valeurs Ancestrales tournent casaque et enjoignent à leurs troupes de les suivre pour faire de la Suisse un pays de muets, sans mémoire, sans personnalité propre. Avec No Billag, plus de musique suisse sur les ondes, plus de combats de Reines, de fêtes folkloriques ou de lutte sur les écrans, plus de films ou de reportages donnant la parole, justement, à ces modestes qu’ils prétendent servir. Pourquoi ce coup de folie, pourquoi cette trahison?

Est-ce parce que ces gens ne supportent pas de voir émis des avis différents des leurs? La SSR n’étant, pour eux, qu’un «monopole ne cessant de prêcher… la bonne parole socialiste… spécialisé dans le lèche-bottes auprès du Conseil fédéral», il faut l’abattre?
Est-ce une question d’argent: la manne publicitaire qui ne serait plus partagée par les chaînes poignardées pourrait se répartir entre quelques amis survivants? Quand on parle de gros sous, le loup, même déguisé en mère-grand, laisse voir ses crocs?
Est-ce leur «philosophie», leur credo: tout doit être privatisé?

La campagne No Billag aura eu cela de bon: elle aura amené une fois de plus l’UDC à tomber le masque, à révéler son vrai visage. Celui d’un parti autoritaire au service de la finance zurichoise, complètement indifférent aux véritables intérêts de ses électeurs.
Plutôt que trépigner contre le service public, ses représentants feraient bien de méditer l’attitude pleine de dignité du PST/POP [vaudois]: lors de son dernier Comité central, il a décidé d’écrire au directeur de la SSR pour lui dire que, malgré le (mauvais) traitement qui lui est souvent réservé, ce parti se battrait pour faire triompher le non à No Billag.

1 Vincent Bolloré: milliardaire propriétaire de Canal+, grand intimidateur de journalistes.
2 Du grec ploutos: richesse et kratos: pouvoir. Partisan d’un système de gouvernement où la richesse constitue la base du pouvoir politique. M’enfin!..

www.michelbuhler.com

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lundi 8 janvier 2018

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