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Un pays saccagé par les corsaires modernes

Dans le sillage des manifestations contre la grâce présidentielle accordée à l’ancien chef d’Etat Alberto Fudjimori, près de 300 auteurs péruviens signent un manifeste «pour la décence et la dignité».
Pérou

Hélas, l’histoire de ce pays millénaire, le Pérou, revient ces jours-ci à la une de la presse internationale, après la décision du président, Pedro Pablo Kuczynski (PPK), de gracier l’ancien président Alberto Fujimori, condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption et crimes de lèse-humanité.

Ce n’est pas l’institution du pardon qui est en cause, sinon la modalité dans laquelle s’est dénouée cette libération: l’actuel président PPK, impliqué dans une affaire de corruption, était sur le point d’être évincé de son investiture par le parlement, majoritairement composé par le parti de la famille Fujimori (au Pérou comme ailleurs la politique n’est qu’une affaire de famille). Mais lors du vote, PPK a miraculeusement sauvé sa peau, grâce à des députés tombés malades à la dernière minute ou à la faveur de ceux qui avaient tout simplement voté blanc. A posteriori, les Péruviens viennent de réaliser que tout était arrangé; le parti de Fujimori, dans le plus pur style du gangster avisé, a fait chanter PPK: «Nous te laissons la vie sauve, mais l’occasion venue – soit à Noël, date officielle des grâces présidentielles –, tu libéreras Alberto Fujimori.»

Le fait est consommé. Comme quoi la conscience des politiciens péruviens pèse de l’or. Il y beaucoup de fric qui circule ces derniers temps, dont l’une des sources principales est Odebrecht.

Odebrecht, c’est une compagnie brésilienne de bâtiment et travaux publics. Elle est installée au Pérou depuis 1978, à l’époque de la dictature de Francisco Morales Bermudez. Cette compagnie de BTP est devenue, par ses pratiques, une organisation criminelle qui a généré pour les Péruviens une perte de l’ordre de 1,5% du PIB, soit 3 milliards de dollars par an; certains analystes estimant à 40 milliards la captation mafieuse cumulée au fil de toutes ces années. Son modus operandi était de soudoyer à coup de millions de dollars tous les présidents et politiciens clés pour obtenir les autorisations de travaux publics; ensuite Oderbrecht présentait la facture aux contribuables en renchérissant les coûts. Au lieu de prendre un dollar, elle en soutirait quatre. Tandis que, face à cette richesse si prodigieuse, le Pérou demeure sévèrement touché par les fléaux que sont l’analphabétisme, les épidémies ou la mortalité enfantine.

Il s’avère que tous les présidents de ce pays ont prêté main-forte à une association de scélérats, dans le but de l’aider à piller le peuple qui les avait élus. Pour tenter de combler le trou créé par la corruption, ces mêmes honorables dirigeants feront appel au marché des capitaux, en empruntant à un taux trois fois supérieur à celui pratiqué dans les pays industrialisés. Toute une génération et sa descendance sont ainsi enchaînées à une dette perpétuelle.

Ces pratiques, propres aux corsaires modernes, ont émergé ces derniers jours et ont secoué les rues, d’où ces manifestations massives et l’écho de la presse internationale. Il ne s’agit donc pas d’une lutte entre la gauche et la droite; c’est une bataille pour la décence et la dignité. La preuve: quelque 300 écrivains péruviens d’orientations politiques hétéroclites viennent de signer un communiqué contre cet acte écœurant, qui circule dans le monde entier; parmi eux le Prix Nobel Mario Vargas Llosa.

* Ecrivain suisso-péruvien.

Une manifestation contre l’impunité et la corruption organisée par les Péruviens de Genève aura lieu ce jeudi 11 janvier à 12h30 place des Nations.

Opinions Agora Nilo Tomaylla Pérou

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