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1917 avec le futurisme russe!

PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

Le lieu? Une des villes de la région Centre en France, à la FNAC, où nous dirons que deux de ses libraires s’appellent Maryse et Paola. Ce jour-là, je cherche des livres sur le futurisme russe.

En cette année qui est encore 2017, penser au courant artistique qui accompagna, il y a cent ans, la Révolution russe, n’est pas totalement incongru. Ne voyant rien en Littérature, je vais au rayon Histoire. Là, Maryse se désole: «Non il n’y a rien, je vais regarder dans notre base de données, mais je peux déjà vous dire que cette année, rien n’est sorti sur ce sujet». Passe alors sa collègue du rayon Arts. «Paola, tu as quelque chose sur le futurisme russe en littérature?» Au tour de Paola de déplorer la situation: «Non, il y a bien un ou deux ouvrages sur Malevitch et le suprématisme, mais sur le futurisme russe en général, rien. Au mieux, les gens ne connaissent que le futurisme italien et sa proximité avec le fascisme.»

Pendant qu’elle tapote sur son clavier Maryse reprend: «Et c’est bien ça le problème: en fait, les deux courants sont indépendants l’un de l’autre… encore faut-il le savoir… je ne vois qu’une référence – un ouvrage de 1989 dont il ne reste qu’un seul exemplaire! Je vous note le titre, mais vous devrez le commander vous-même car il n’est disponible que sur internet!» Du coup, nous nous mettons à parler toutes les trois des célébrations de l’anniversaire des «Dix jours qui ébranlèrent le monde», pour citer le journaliste socialiste John Reed qui vécut, partagea et relata ces événements. Ou plutôt de l’absence de célébration qui frappe jusqu’à la littérature. En soupirant, Maryse tend la main vers un petit étalage de livres: «Et quand vous voyez la seule biographie de Lénine qui est mise en avant…»

A l’arrière-plan, il y a bien Que faire de 1917? Une contre-histoire de la révolution russe du militant trotskyste Olivier Besancenot. Mais c’est une pile du dernier titre de l’historien et idéologue de droite Stéphane Courtois, Lénine, l’inventeur du totalitarisme, qui trône en bonne place – marketing d’entreprise bien flatteur pour un auteur qui, ces dernières semaines, a surtout démarché les chaînes de télévision et radios de l’extrême droite identitaire française.

Quant au livre, de référence lui, de l’historien Marc Ferro, La révolution de 1917, je n’en vois qu’un seul exemplaire, exilé dans les rayons et pris en sandwich entre Une histoire érotique du Kremlin et La Russie des tsars… Je repars, armée du titre que Maryse m’a noté sur un papier, et rassérénée par la compétence et la lucidité qu’elle et sa collègue déploient face à la médiocrité ambiante.

Quelques jours plus tard, Le futurisme russe d’Agnès Sola, publié en octobre 1989 aux PUF (Presses universitaires de France), arrive à bon port. Un ouvrage remarquable par son érudition, dont il est aberrant qu’il n’ait jamais été republié, et qui accompagne ma lecture de Maïakovski.

Ce qui m’amène à quelques constats. Membre le plus connu du futurisme russe, mouvement d’artistes activement engagés dans la Révolution, Maïakovski a été totalement ignoré des activités culturelles en France durant l’année 2017. Et pour cause: son nom avait déjà été utilisé en 2015 par le «Printemps des poètes», événement qui a le mérite d’exister durant quelques jours une fois par an. Mais pourquoi 2015 plutôt que 2017? Juste pour célébrer le 17e anniversaire du «Printemps» en question.

Au cours de ce détournement, le nom du poète fut retranché de son mouvement, son visage transformé en logo, tandis que l’affiche du «Printemps» promettait une «insurrection poétique» de deux semaines exactement. Ca ne mangeait pas de pain, beaucoup moins que de se confronter deux ans plus tard à un collectif de créateurs et intellectuels qui avaient révolutionné la poésie et la critique littéraire en explorant les voies ouvertes par la linguistique et en déconstruisant le langage.
Et c’est comme ça qu’en 2017, personne n’a parlé d’Alexandre Blok, reconnu comme précurseur par Maïakovski, ni d’Ossip Brik, ou de Velimir Khlebnikov, qui, parmi d’autres, revisitèrent le langage et en firent exploser les usages convenus. Même silence pour les illustres linguistes que furent leurs amis Victor Chklovski, Vladimir Propp et Roman Jakobson, qui donnèrent ses bases à ce qui allait devenir plus tard le structuralisme. En ces temps de conformisme forcené, on rêve à la redécouverte du manifeste futuriste russe «Gifle au goût public».

Journaliste internationale

Opinions Chroniques Laurence Mazure PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

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lundi 8 janvier 2018

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