L’art et les courses
Les musées suisses attirent de plus en plus de visiteurs: en 2016, les 1108 institutions du pays ont enregistré 13,2 millions d’entrées, en hausse de 1,1 million, selon l’Office fédéral de la statistique. Une augmentation liée à plusieurs expositions temporaires très courues, de même qu’à l’ouverture de nouveaux lieux comme le Musée d’ethnographie de Genève.
Ces chiffres sont réjouissants, et peu importe si quelques propositions blockbuster tirent la statistique vers le haut: il faut de tout pour dessiner un paysage muséal digne de ce nom, y compris des expositions que le public ira voir en mode «mouton», pour la seule présence de certains grands noms – le plus souvent impressionnistes – au générique. Des accrochages qui ne font pas véritablement avancer l’histoire de l’art: souvent privés, les musées qui les proposent se limitent en général à emprunter le best of d’une grande collection; voire à acheter des parcours concoctés clé en main par des agences spécialisées.
Reste que les 100 000 visiteurs qui ont rendu visite à «Hodler, Monet et Munch» à la Fondation Gianadda cette année, voire les 290 000 allés saluer Monet à Beyeler au printemps, sont certainement repartis heureux. Aussi les visées ultimes de ces musées ne sont-elles pas vraiment discutables, au-delà de quelques salaires sans doute un brin indécents, notamment du côté de Bâle; ou des réguliers appels du pied politiciens que provoquent ces records d’entrées, pour que les structures publiques fassent elles aussi du chiffre – ceci au détriment de leur cahier des charges incluant pédagogie et travail scientifique.
Ce qu’on peut par contre juger discutable, c’est ce qui se passe aux portes de Genève, à Ferney-Voltaire, où une collaboration se dessine entre le Centre Pompidou, la Cité des sciences et un gigantesque espace commercial bientôt en construction. A défaut de musées à proprement parler, les deux institutions y auront un espace où elles proposeront des contenus et autres «expériences» aux nombreux clients de passage.
Ainsi, quarante ans après avoir révolutionné notre rapport à l’art contemporain, le Centre Pompidou accepte sans titiller de se poser en faire-valoir d’une énorme opération commerciale – il sera, avec son pendant scientifique, la plus-value qui devra convaincre le chaland suisse à fort pouvoir d’achat d’aller à Ferney plutôt qu’à Saint-Julien, Saint-Genis, etc. Ou quand la culture, devenue pur alibi, sert à fournir du «temps de cerveau disponible».