Un retour au XIXe siècle
Le 1er novembre, le Conseil fédéral nous a livré son projet de nouvelle politique agricole qui était implicitement contenu dans son message pour la votation du 24 septembre dernier. Dans ce projet, la suppression des barrières douanières représente l’élément déterminant qui, s’il s’imposait, remettrait en cause les fondamentaux de la politique agricole héritière de l’instauration de la démocratie, puis développée par la suite.
Les questions du revenus des producteurs, de la durabilité, du bio, du local ou du global sont effectivement subsidiaires dans ce projet. C’est un retour au XIXe siècle, où l’agriculture dépendait du chacun pour soi, où l’absence de politique agricole cantonale et nationale laissait la place à l’opportunisme, à la sous-enchère ou surenchère. Les politiques agricoles nationales qui se sont succédé jusqu’à l’entrée en scène du néolibéralisme ont donné une efficience à l’agriculture face à l’insécurité alimentaire des siècles derniers. Alors que dans le contexte planétaire actuel l’instabilité politique, les guerres pour les ressources et le leadership font rage, le Conseil fédéral nous propose de s’inviter à monter dans le cyclone. Il ne se gêne pas pour tourner le dos aux souhaits des électeurs, pour embrasser la dictature de l’OMC, foulant au pied la démocratie en la remplaçant par le dogme de l’autorégulation par la concurrence des marchés mondialisés. Selon lui, la sécurité alimentaire, les choix de production agricole, la protection de la nature, la biodiversité devraient résulter des lois de la concurrence mondiale en lieu et place de la souveraineté démocratique.
En effet, la suppression des barrières douanières sur les produits agricoles feront imploser l’édifice des instruments de la souveraineté politique nécessaire à la gouvernance qui permet de choisir et décider ce que nous voulons dans le «jardin national». Ces instruments sont:
1) le droit foncier rural qui détermine la valeur de la terre agricole et de ses bâtiments indépendamment du marché immobilier;
2) le droit de succession;
3) les droits de douane sur les importations agricoles qui permettent de protéger les diverses productions choisies;
4) les marchés agricoles intérieurs régulés afin d’équilibrer l’offre et de stabiliser les prix;
5) une décentralisation de l’agriculture assurée sur l’ensemble du territoire;
6) la multifonctionnalité de l’agriculture, à savoir la conservation des ressources, l’entretien du paysage rural, etc.
Ces divers instruments font partie d’un ensemble constitutionnel qui permet de gouverner l’agriculture, mais aussi donne les moyens politiques d’instituer des conditions en rapport avec la santé publique, la protection de la nature ou des animaux.
La politique libre-échangiste de M. Schneider Ammann induisant une industrialisation de l’agriculture avec ses mégafermes, ses monocultures, sa bureaucratisation aliénante… mettrait encore la nature plus à mal. Il n’en coûterait pour autant pas moins cher aux contribuables qui devront colmater les dégâts collatéraux à coût de milliards par année, auxquels s’ajouterait la perte de 2 milliards de taxes douanières.
L’empressement de notre ministre de l’Economie à faire avaliser son projet s’inscrit dans l’entourloupe du 24 septembre afin de couper l’herbe sous les pieds aux diverses initiatives populaires en cours qui remettraient en cause ses visées industrialo-financières. Dès lors, il est urgent de faire alliance contre ce projet, de discuter ensemble des enjeux prochains et de réfléchir à la refonte d’une politique agricole paysanne rémunératrice, respectueuse de la santé publique, de l’environnement et des animaux sur les bases de la souveraineté politique. Il est urgent de venir sur le terrain de la citoyenneté en mettant dans un tronc commun les intérêts des uns et les souhaits des autres.
Paul Sautebin, président d’Uniterre (Jura bernois)