Entre culture et solidarité
Tout est parti d’un film retraçant le voyage du Chœur des élèves du Collège St-Michel de Fribourg en Terre promise… Pour être tout à fait honnête, lorsque l’on m’avait proposé de visionner ce documentaire, le titre ne m’avait pas particulièrement inspirée. C’était sans compter la qualité de la narration de Francis Reusser et la portée critique de ses images. Il a ainsi suivi pendant une semaine ces adolescent-e-s alors qu’elles et ils sillonnaient la Terre Sainte, mêlant visites de lieux de pèlerinage et rencontres avec des musicien-ne-s palestinien-ne-s. Entre check points et moments de grâce, entre prise de conscience et expérience musicale et humaine, ce voyage n’a laissé personne indifférent, ni les participant-e-s ni celles et ceux qui ont vu le film.
Tout est allé très vite. Et il a fallu à peine un an pour que deux chœurs lausannois, l’Ensemble vocal Arpège et le Chœur HEP, tous deux dirigés par le chef Julien Laloux et réunis pour l’occasion sous le nom de Chœur Harmonia Vocis, partent à la rencontre de musicien-ne-s palestinien-ne-s. Le voyage nous emmènera à Bir Zeit, en Cisjordanie, ville où siègent l’Université et le Conservatoire national de musique Edward Saïd. La Haute Ecole de musique de Genève, qui a déjà une petite tradition de collaboration avec le Conservatoire palestinien, participe également au projet.
Les choristes lausannois-es auront ainsi l’occasion de partager une œuvre majeure du répertoire classique, le Requiem de Mozart, lors de deux concerts, à Bir Zeit et à Jérusalem, mais aussi de faire découvrir la tradition musicale classique occidentale aux élèves des classes de la région de Ramallah lors d’une «scolaire» qui mêlera extraits musicaux et médiation culturelle. Pour le concert de Bir Zeit, un groupe de musique classique arabe proposera des variations sur deux grands thèmes musicaux du Requiem, le Dies Irae et le Confutatis. L’œuvre de Mozart sera ainsi ponctuée de ces variations arabes, une véritable occasion d’échange interculturel, la musique servant de langue commune.
Lancer un tel projet ne va pas sans quelques doutes: nous pensions que ce serait difficile, irréaliste, voire pure folie. Nous craignions que la situation de la région n’en décourageât plus d’un-e et que nous ne réussissions pas à réunir le nombre de choristes nécessaire. Finalement, l’enthousiasme l’a emporté et ce sont plus de soixante personnes qui vont prendre le départ ce vendredi 13 octobre. Les motivations sont des plus diverses: entre intérêt culturel, expression de sa foi et solidarité politique. Cependant, toutes et tous partagent une même envie, celle de chanter dans un contexte qui donne une portée symbolique à une œuvre, qui magnifie le fait même de l’interpréter et qui permet la rencontre avec des musicien-ne-s dont la vie artistique est marquée par la situation de la région.
Avant même de partir, nous en avons déjà fait l’expérience, de loin. Il y a moins d’une semaine, nous apprenions qu’en raison des fêtes de Soukkot, la Cisjordanie avait été bouclée durant onze jours, soit jusqu’au lendemain de notre arrivée. Les questions se sont alors bousculées dans nos têtes: pourrions-nous rejoindre le Conservatoire? Pourrions-nous répéter si un mur nous séparait? Allions-nous devoir renoncer? Nous savons aujourd’hui que ces interdictions d’entrées et de sortie du territoire ne concernent que les résidant-e-s, titulaires d’une carte d’identité palestinienne. En tant que touristes, nous pouvons partir serein-e-s. Mais ces quelques jours de doute nous ont fait toucher du doigt ce que peut être le quotidien sous occupation.