En finir avec le franc CFA?
Le mouvement de protestation contre le franc CFA s’étend en Afrique francophone. Des manifestations réunissant plusieurs centaines de manifestants mais aussi des conférences publiques, dans les capitales africaines et à Paris, réclament la fin de cette monnaie issue de la colonisation. Les associations se mobilisent dans les grandes villes du continent, forçant les autorités à réagir, parfois maladroitement: le gouvernement sénégalais a ainsi brièvement incarcéré puis expulsé vers Paris l’activiste Kemi Seba, par ailleurs plus que douteux1 value="1">Kemi Seba présidait l’association Tribu Ka dissoute pour antisémitisme par le gouvernement français en 2006. Il est connu pour faire l’apologie d’idées suprémacistes noires., qui avait brûlé publiquement un billet de 5000 francs CFA le 29 août 2017.
Créé en 1945, le franc CFA signifiait alors «franc des colonies françaises d’Afrique». Après les indépendances, il fut rebaptisé «franc de la communauté financière africaine». En 2017, il existe en deux versions et circule dans deux zones économiques regroupant quatorze pays en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Le franc CFA pose deux types de questions, économiques et politiques.
Du point de vue économique, est-il un frein au développement du continent? Certains économistes, notamment ceux qui travaillent ou conseillent les institutions financières du continent, estiment qu’il constitue une garantie de stabilité et de crédibilité pour les pays concernés. C’est le cas de l’homme d’affaires béninois Lionel Zinsou, candidat malheureux à la présidence du Bénin et proche du président français, Emmanuel Macron. Une monnaie commune serait un avantage, estiment les partisans du franc CFA, quitte à en modifier les règles de fonctionnement. Certains évoquent ainsi la création d’un panier de monnaies auquel serait accroché le CFA aujourd’hui garanti par le Trésor français. Pour d’autres économistes, cette construction monétaire vieille de septante ans serait totalement inadaptée aux réalités du continent, en particulier depuis la création de l’euro. En effet, le franc français n’existe plus depuis 2002 et la France vit monétairement tournée vers Francfort, siège de la Banque centrale européenne. D’une part, la cohérence qui pouvait exister entre les deux monnaies a donc disparu; d’autre part, le CFA est désormais lui-même, de facto, lié à l’euro. Comment une devise, déjà jugée surévaluée par rapport à certaines économies du Vieux-Continent, pourrait-elle ne poser aucun problème à celles du sud du Sahara?
Du point de vue politique, le franc CFA pose la question de l’indépendance des pays africains. La monnaie est en effet un attribut de la souveraineté. C’est un outil essentiel de la politique économique d’un pays. En pratique, l’obligation faite aux Etats concernés de déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français prive des pays parmi les plus pauvres du monde de leurs précieuses ressources. En 1994, la dévaluation de 100% du CFA, voulue par le gouvernement français d’Edouard Balladur avec la complicité des dirigeants africains de d’époque, a causé des désastres sociaux et de terribles souffrances aux populations du continent noir.
Il est temps qu’un vrai débat se développe sur l’avenir monétaire de l’Afrique francophone et que ce débat implique au premier chef les économistes et les populations du continent. Les propositions ne manquent pas pour réformer le franc CFA ou le remplacer par une monnaie africaine, comme l’illustrent les travaux des Sénégalais Sanou M’Baye et Demba Moussa Dembélé ou du Togolais Kako Nubukpo.2 value="2">Voir à ce sujet une sélection d’archives du Monde diplomatique: www.monde-diplomatique.fr/carnet/2017-09-28-franc-CFA En toute hypothèse, seuls les Africains doivent pouvoir souverainement déterminer leurs choix politiques et économiques.
Notes