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Libre-échange des ordures

La circulation mondiale des ordures constitue un miroir fidèle des équilibres géoéconomiques, avance Pierre Rimbert, qui ausculte en l’espèce la nature des échanges commerciaux entre les Etats-Unis et la Chine.
Environnement

Aussi sûrement que l’aiguille d’une boussole pointe vers le nord, le trajet des poubelles indique le sens de la domination: le faible recueille les restes du fort. Le commerce international n’échappe pas à la règle. Les Etats-Unis, qui achètent à la Chine des téléphones portables et du travail bon marché, lui revendent… des ballots d’emballages défraîchis, des compressions de bouteilles en plastique, des chiffons et de la ferraille. Ces sous-produits de consommation destinés au recyclage représentent l’une des vitrines mondiales méconnues du made in USA: six des dix premières entreprises exportatrices américaines prospèrent dans ce secteur1 value="1">Palmarès en volume (et non en valeur) mesuré en nombre de conteneurs de 20 pieds exportés. «Top 100 importers and exporters», Journal of Commerce, vol. 18, n° 11, New York, 29 mai 2017., qui a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 5,6 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) rien qu’avec l’empire du Milieu. Et qui expédie sur les océans plus d’un million de conteneurs remplis de vieux papiers – le produit américain le plus exporté par ce mode de transport. Première importatrice mondiale, la Chine a pour sa part acheté pour 18 milliards de dollars de déchets l’année dernière, dont 7,3 millions de tonnes de plastique usagé. Lequel, une fois trié par des petites mains sous-payées, puis reconditionné, voguera à nouveau vers les supermarchés sous forme d’objets flambant neufs.

Jusqu’ici, industriels et politiques s’accommodaient de ce libre-échange des rebuts: moins de pollution dans les métropoles occidentales; une matière première bon marché pour les constructeurs chinois; enfin, ces cargaisons de seconde main permettent aux compagnies maritimes de charger les porte-conteneurs qui, sinon, repartiraient à vide vers les ateliers du monde. Mais voilà: asphyxiée sous les gaz et la crasse, la population chinoise gronde et menace. Et les autorités réagissent. Avec les opérations «Clôture verte», en 2013, puis «Epée nationale», lancée cette année, le gouvernement tente de contrôler le commerce des ordures en élevant la qualité minimale des déchets étrangers autorisés.

Le 18 juillet dernier, Pékin notifiait formellement à l’Organisation mondiale du commerce son intention d’interdire l’importation de vingt-quatre types de déchets solides d’ici à la fin de l’année afin de «protéger les intérêts environnementaux de la Chine et la santé du peuple». Il ressort en effet des campagnes d’inspection menées depuis quelques mois dans les usines de retraitement que «de grandes quantités de matières polluantes, voire dangereuses, se retrouvent dans les déchets solides susceptibles d’être utilisés comme matières premières2 value="2">Voir sur le site de l’Organisation mondiale du commerce.». Nul ne sait avec quelle vigueur sera mis en œuvre ce bannissement, qui touche une gamme variée de scories sidérurgiques contenant des métaux lourds, de résidus textiles et, plus important en termes de volume, de rognures de plastique et de papiers mélangés. La prohibition de cette dernière catégorie serait notamment due à l’automatisation du tri des cartons dans les usines américaines. «La séparation entre les différentes qualités de papier était plus précise lorsqu’elle était effectuée à la main», note un spécialiste du secteur3 value="3">Bill Mongelluzzo, «China wastepaper import ban less severe than feared», JOC.com, 4 août 2017..

Plus fondamentalement, il s’agit pour Pékin de favoriser l’émergence d’une filière nationale de recyclage, en substituant aux déchets importés ceux collectés sur place. Pour l’instant marginales, ces restrictions pourraient se durcir et modifier la circulation mondiale des ordures, miroir décidément fidèle des équilibres géoéconomiques. En attendant, les Etats-Unis recherchent activement de nouveaux partenaires à qui refourguer leurs poubelles. Le Vietnam, la Malaisie et le sous-continent indien sont sur les rangs.

* Paru dans Le Monde diplomatique de septembre 2017.

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